How the West wan won : le western américain ou le vertige de l’espace

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Le film La conquête de l’Ouest est sorti aux Etats-Unis en 1962 sous le titre How the West was won. Il réunit trois réalisateurs : Henry Hahaway, John Ford et George Marshall

Une pléiade d’acteurs célèbres (Henry Fonda, Caroll Baker…) est au service d’un film où l’on retrouve tous les ingrédients des westerns classiques et dont la trame narrative repose sur l’évocation d’une vaste fresque historique, celle de la colonisation de l’Ouest américain. Au-delà du récit, le décor, l’espace et la frontière sont véritablement au cœur de ce film. On suit en effet tout au long de l’aventure, les efforts d’une famille de colons pour s’installer et mettre en culture les espaces reculés de l’Ouest américain. Au fur-et-à-mesure des générations qui se succèdent, on perçoit l’évolution de cet espace frontalier, de sa difficile et progressive domestication.

La frontière est le thème omniprésent du film. Elle l’est dans tous les westerns, ne serait-ce que par le lieu de l’action, sa présence comme cadre général de l’histoire. Elle traduit ici une vision hollywoodienne classique et nostalgique de cette époque. Plusieurs passages en soulignent l’importance. Mais celui de la construction du chemin de fer est particulièrement révélateur. La séquence est introduite par une voix off de narrateur qui évoque les efforts des pionniers pour maîtriser l’immensité, tandis que l’on suit le trajet d’un cavalier, puis d’une diligence pour aboutir à un plan d’ensemble, celui du chantier du chemin de fer.

 
Modernité et anthropisation fragile et courageuse : l’esprit pionnier.

Tout cette séquence donne à la notion de « frontier » une place centrale. La « frontier » est un élément fort dans l’imaginaire collectif américain. Ses caractéristiques sont définies par l’historien américain Turner dans son ouvrage La Signification de la frontière dans l’Histoire américaine (1935) : immensité, accessibilité réduite, espace vierge, aux confins de l’oekoumène, que seuls les esprits tenaces peuvent exploiter et mettre en valeur. Son étude sur les espaces pionniers américains contribue à influencer la représentation cinématographique.

Ici, la contradiction entre des espaces vierges préservés et l’effort des colons pour lutter contre l’immensité est symbolisée par la venue du chasseur de bison (Henry Fonda) : il se distingue par sa hauteur à cheval, son mouvement, vêtu de couleurs vives ; il revient des grands espaces et symbolise l’Ouest sauvage, en communion avec la nature, par contraste avec l’anthropisation en cours de la voie ferrée. Les ouvriers qui s’activent symbolisent, eux, la société qui s’organise, la modernité jaillissant de nul part. Un tel contraste repose sur des valeurs évoquées par le narrateur, celles d’héroïsme et de ténacité. Effort et solidarité sont représentés comme un creuset identitaire de la nation américaine en construction.

 

L’Ouest sauvage et l’Ouest discipliné : la rencontre entre deux mondes.

Comme l’avait souligné le géographe Pierre Montbeig dans son travail sur les front-pionniers (Une étude de front -pionnier au Brésil, 1952), ces espaces sont animés par des dynamiques de conquête et d’abandon. La construction de la voie ferrée, en dépit de son caractère éprouvant et de sa fragilité dans une nature immense, relève de la conquête. Elle renvoie à l’idée d’une domestication de la nature vierge et sans fin. C’est aussi le thème de la wilderness, celui d’une nature immense et généreuse, chère au poète américain Ralf Waldo Emerson, qui est en filigrane, porteur de nostalgie, non pas tant pour la nature en tant que telle que pour cette époque de mise en valeur des terres américaines.


 
Une nature sauvage, pure et majestueuse à maîtriser, élément fort de l’identité américaine.

On peut adopter une double lecture historique du film. Au-delà des polémiques (sur l’absence des Noirs dans le déploiement du récit, sur l’image dévalorisante des Indiens), il faut rappeler qu’il est réalisé dans les années 196O, en pleine guerre froide. En valorisant le courage, l’esprit de cohésion, la persévérance, on peut y voir une forme de mobilisation identitaire et nationale. Le film est en tout cas un succès, avec 3 oscars remportés alors même que le western classique est en voie d’essoufflement. Ceci expliquant peut-être cela…

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