Give me five, Michael !

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Si la vie de Michael Jackson était un film, quelle fin voudrions-nous voir ?

Tout est dit. Que peut-on bien ajouter qui n’ait été évoqué tout au long de cette journée du 26 juin 2009, sinon peut-être que la nouvelle de la mort de Michael Jackson fait aujourd’hui, en raison sans doute de son caractère proprement « irréel », l’effet d’une bombe. Prendre acte de la « tragédie » d’une icône de la pop music, de l’extinction d’une étoile de la scène musicale internationale sur un site de cinéma n’a cependant rien d’un hors-sujet, si l’on considère que, depuis nombre d’années déjà – disons l’échec relatif d’Invincible, son dernier album studio (2001) – le « film » de sa vie avait sensiblement pris le pas sur l’éclat de l’inaccessible bête de scène. Zoom avant, mise au point sur la chronique d’une « end » peut-être pas si « unhappy ».

Close up

La question du visage fut sur la fin la grande affaire du mythe de Jackson. Celui dont le capital de fascination reposait naguère sur la stimulante faculté d’extension des limites corporelles, la fluidité bluffante du geste (dont la chorégraphie du clip de Smooth Criminal – 1988, toute de glissements et de défiance gravitationnelle, est le sommet), s’est mué ces dernières années en l’effrayant symbole des dérives les plus inquiétantes de la chirurgie esthétique. Trop de retouches, de rafistolages limite… mais surtout, de plus en plus, et bien qu’il se soit toujours défendu d’avoir eu recours à toute intervention, trop de coutures désormais visibles. Une étrange fascination pour le « cas » Jackson, entre moquerie et dégoût, achevait en cette décennie de faire de lui l’objet d’une défiance quant à la perspective de faire face à l’image de son nouveau visage. La question n’était plus tant celle du passage de la « beauté black » à la laideur d’un « blanchissement » raté que le malaise inhérent au spectacle du renoncement progressif à toute identité. Comme si le bel avènement du morphing, la joyeuse confusion des races et des sexes clôturant le clip de Black or White (1991) n’était que l’arbre cachant la forêt bien sombre d’une impossible extension de l’enchantement à l’échelle de sa propre vie.

« Peter Pan est mort », conclut Philippe Manoeuvre, apparemment sonné par l’évènement, dans le JT de 20 heures de France 2. La formule est belle, et surtout terriblement juste : « Bambi », « Peter Pan », qu’importe, Michael Jackson était effectivement devenu l’incarnation de son propre rêve, ne pouvait manifestement plus traverser notre temps sous visage humain. Nous nous abstiendrons ici d’évoquer le dévorant sujet de son rapport aux enfants pour privilégier celui de son persistant état d’enfance. Tout ou presque dans ses propos, son mode de vie, ses actes plus ou moins contrôlés (le fameux épisode du nouveau né à la fenêtre) justifiait le scandale et l’embarras, rendait problématique la défense du personnage… Mais en même temps, jamais ne s’est lue en lui (et surtout ne s’est entendu, sa voix parlée résonnant souvent comme un perpétuel murmure d’enfant timide) la moindre arrogance, la moindre colère. Apparaît avec le recul que, malgré son grand instinct de showman, l’assez indiscutable maîtrise de son art, mais également tous ses engagements humanitaires (contre la faim en Afrique – « We are the world » – , la lutte contre le sida en compagnie de son amie Liz Taylor…), Michael Jackson ne se voulait porteur d’aucune « parole », était tout sauf l’homme d’une revendication ouverte. De l’alliage entre ce relatif retrait de tout discours public et l’explosion sensuelle, sur toutes les grandes scènes du monde, d’un corps si plein de santé, naquit comme un paradoxe, de ceux d’où s’originent forcément tous fantasmes et projections.

                                                                                                       

 

Difficile ainsi de se souvenir du King of Pop comme du représentant d’une communauté (Noire), d’une cause (la reconnaissance par les médias, à l’orée des années 80, avec l’explosion du clip et de MTV, d’une « qualité black » au-delà de la seule communauté). L’accès de Jackson au rang de star mondiale ne semblait s’accompagner sur le long terme d’aucune forme de symbolisme : pour être aimé de tous, il était peut-être aussi nécessaire de ne parler au nom de personne en particulier ( la parole du peuple, du ghetto, les maîtres émergents du rap et de toute la musique urbaine – « Fight the power ! » – ne manqueront pas de la porter plus tôt et plus loin que l’on ne saurait dire), de collaborer aussi bien – et souvent pour le meilleur – avec « les siens » (le magicien Quincy Jones) qu’avec « tous les autres » (Scorsese, Landis… Macaulay Culkin, pourquoi pas !). Là se situerait peut-être l’un des – nombreux – motifs de ce qui s’apparenterait au « monde merveilleux de Bambi ».

This is the end (?)

Tout le monde, sans aucun doute, se rappellera du moment où il aura appris le décès de Michael Jackson. Il faut surtout reconnaître que la nouvelle sonna pour beaucoup  au départ comme rumeur suspecte, mauvaise blague typique de l’esprit cruellement fun de la toile. En gros : Michael Jackson mort ? dans la vraie vie ? Pas possible. Et pourtant. Peu de décès de stars (y compris parmi les mythes hollywoodiens disparus ces dernières années) ont à ce point eu l’impact d’un véritable éboulement, d’une forme de séisme égalant à peu de choses près – en exagérant à peine – le choc accompagnant le spectacle de la chute des Twin Towers. C’est dire si MJ, au-delà du piétinement de sa carrière (sa tournée d’été, à laquelle beaucoup – dont lui – semblaient croire très fort, apparaissait comme la énième annonce d’un retour longtemps différé), de son évidente solitude, des rires au fond pas si méchants qu’il suscitait, semblait – y compris pour nous – immunisé contre l’infection d’un réel (la vie/la mort) paraissant l’effrayer de plus en plus.

 

Employer à son sujet le terme, désormais bien galvaudé, de « tragédie » serait une facilité. Certes, à l’instar, selon les sensibilités, de Marilyn, Elvis, Cobain, Lennon, Mike Brandt ou Cloclo, personne ne pourrait a priori envier pareil destin, personne ne voudrait s’imaginer, se représenter même mentalement la fin, tragique en effet, de Michael Jackson… Reste que « tragédie » s’apparenterait aussi, peut-être surtout, à un fatalisme, une vision au fond quelque peu simpliste de la vie de star comme vecteur d’une inflexible « destinée ». La tristesse, à l’idée – devant l’effectivité – de la mort de Jackson, ne résulterait pas du seul constat d’une enfance volée (peu de remords à aimer les Jackson Five), d’une foncière inadaptation de l’homme à la « vraie vie », ni de la relève des indices d’un évanouissement imminent… Ce qui fait aujourd’hui monter les larmes, c’est, en regard de la dimension de son œuvre, la conviction que tout ne ferait finalement que commencer : par le prisme entre autres du moonwalk , la « jackson attitude » restera d’évidence pour beaucoup une philosophie, le moteur de toute une vie.

This is it


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