Soit M. Peabody, vieil homosexuel grabataire de 82 ans qui attend de mourir en maison de retraite ; et Lake, mignon post-ado en couple avec une jeune libraire amoureuse des idées libertaires, qui découvre ses penchants gérontophiles quand une érection le prend de court alors qu’il réanime un vieillard à la piscine dans laquelle il est maître-nageur. L’outrage devient bientôt connu de sa mère, qui s’énerve rapidement (“mon fils baise avec un vieux schnock”), et de sa copine, qui rompt avec lui mais salue son esprit libéré et courageux, elle qui ponctue ses flirts d’une logorrhée de noms de femmes américaines révolutionnaires (Naomi Klein, Lizzie Borden ou Winona Ryder). Cet idéal de révolution traverse tout Gerontophilia, très attaché à faire rentrer l’extraordinaire dans la norme, ici une sexualité inhabituelle dans les formes classiques de la comédie romantique. Révolution ouatée donc, qui veut croire que l’amour entre jeunes hommes et vieux messieurs n’est qu’un des pans de l’homosexualité, et doit donc être traité comme tel : rien ne dépasse dans l’histoire de Lake et Peabody, rien ne fait trop drame, à peine quelques pics de jalousie qui arrivent à tout le monde, à tout âge et quelle que soit la sexualité.

Ces saillies dans une relation par ailleurs très heureuse parce que fatalement limitée dans le temps, témoignent avant tout de la volonté de Bruce LaBruce que le spectateur croie à son histoire hors normes. Les pics en question adviennent au cours d’un road trip en deuxième moitié de film, qui n’est pas la meilleure mais présente une vision plus positive de la vie, où tout le monde aurait le droit de cité, jeune ou vieux, beau ou moche. Gerontophilia devient alors la vision fantasmée d’une société où les rapports seraient tous égalisés, tous aussi valables les uns que les autres – c’est d’autant plus parlant que la communauté gay reste souvent très régie par les canons physiques et la tyrannie de la jeunesse. Ainsi, la romance de Lake, au final très standardisée par une mise en scène joyeuse, n’est pas l’affaire d’une seule fois mais l’ouvre à ses appétits : dès lors, il se met à rêver à tous les corps vieillissants qui traversent sa route. En une scène très réussie, où le jeune homme lèche les plaies de Mr. Peabody, Bruce LaBruce affirme un romantisme forcené sans renoncer totalement à la subversion : Gerontophilia, aussi idéaliste soit-il, est bien l’expression d’un fétichisme, et donc d’une marginalité. Une marginalité qui est la pierre angulaire de son cinéma, mais qu’il n’avait jusque là jamais osé rendre aussi accessible.