Gaby Baby Doll

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Après avoir écouté les troupes piailleuses de ses précédents films, Sophie Letourneur regarde marcher << deux handicapés de la life >>.

La parisienne Sophie Letourneur rompt les amarres de ses décors citadins pour s’exiler dans les Hautes-Alpes, emportant avec elle un casting presque réduit de deux acteurs et un chien bicolore. Bien qu’elle s’en défende un peu, Gaby Baby Doll marque une rupture plutôt franche avec ses précédents films, tant dans une forme un peu plus naturaliste qu’à l’ordinaire que par les thématiques qui le traversent. Disparues les bandes – de filles, d’ados, d’amies d’enfance, de snobs du milieu cinéma – qu’elle disséquait à force d’échanges verbeux et de gimmicks en post-synchronisation faisant la signature d’un cinéma ludique mais forcément un peu maniéré.

Alors justement, que reste-t-il quand le groupe de potes rentre en ville après un week-end à la campagne ? Une fille, Gaby, dépossédée de sa capacité à babiller à tout va comme le font d’habitude les personnages de Letourneur lorsqu’ils sont entourés de leur clique. A qui parler quand on est seule, et comment soulager cette peur panique de rester sans personne. A cette interrogation touchant aussi bien au genre de la comédie romantique contemporaine qu’au cinéma américain indépendant des années 1990, le film répond par une rencontre, elle aussi plutôt classique, avec une autre solitude. Débarque un personnage de garde forestier en jogging gris (et marron terre sur les fesses), adepte de l’isolement tendance ermite. Il devient la cible de compagnonnage de Gaby, voyant en lui le maître es solitude qui la guidera vers le salut, au mieux sentimental, au pire du coming of age.

 

Là où le projet marque franchement sa différence avec les habitudes de Letourneur, c’est dans sa signature visuelle. Avant, la profusion de la parole chez les personnages, eux aussi nombreux, étaient la raison d’être de mises en scène du langage comme biais de reconnaissance et d’appartenance. Véritables petits laboratoires, La Vie au Ranch (2010) et Les Coquillettes (2013) étudiaient par exemple le groupe social ou professionnel comme catalyseur des sentiments et des comportements – déjà déviants. Ici, le personnage de Gaby, ne trouvant littéralement plus de répondant, déambule dans des plans jusqu’alors occupés par la frénésie des mots et des autres corps.

Le pari de la cinéaste est donc bien plus grand qu’un simple écart thématique, c’est bien le questionnement de son propre système cinématographique : qu’est-ce qui remplit le cadre maintenant que les turbulences langagières ont déserté ? La réponse, agrégation semi-réussie, vient de l’utilisation de la balade comme ligne directrice à la mise en scène. Gaby apprend à marcher, d’abord à deux, puis finalement seule, au prix d’un effort herculéen. Bien que banales, ces scènes bucoliques où les deux compagnons d’infortune se promènent dans la nature, constituent le squelette du film, chronométrant une nouvelle existence jusque-là chaotique : d’abord la marche « en silence », comme l’exige Nicolas, puis le repas partagé, enfin l’excursion au bar du village. Cet apprentissage du rythme semble être autant celui de Gaby que de la cinéaste, qui s’en tient à un programme bien défini jusqu’au dernier tiers, où l’enchantement romantique prend le pas sur la chronique récurrente, et réactive dans un délire final de conte de fée un peu de l’énergie foldingue qu’on lui connaît mieux.

En même temps, il est difficile de voir dans ce film hybride un peu replet, voire psychotique, autre chose que la véritable expérience de la mélancolie partagée par les deux personnages (Lolita Chammah et Benjamin Biolay, parfaits) ; présenté comme une comédie, le film en est quand même un dilué très lointain, hormis dans son burlesque de situation. Ça déprime même sévère du côté de Gaby – et c’est le joli paradoxe du film – qu’un personnage recherche tant la compagnie des autres qu’il en développe des comportements d’asociale. Cette angoisse de lame de fond, plus grinçante que drôle (les hommes quinquagénaires vont détester !) toujours présente dans les films de Letourneur, trouve enfin une place essentialiste, rappelant par moment la copine Frances Ha (2013) dans l’écriture d’une folie douce inguérissable, matière à des comédies féminines plus consistantes que celles s’intéressant au dessous de nos jupes.
 

Titre original : Gaby Baby Doll

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Durée : 98 mn


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