Focus sur Zoom arrière

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Exhumer l´histoire antique, restaurer et exposer les travaux titanesques entrepris sur certains trésors du patrimoine cinématographique : telles furent les tâches de cette 5e édition du festival toulousain.

Le peplum, ou le genre qui faisait de la gonflette

Antiquité et cinéma : deux mots qui, pour un spectateur ayant grandi dans les années 50-60 ou passé des heures à Noël devant les rediffusions télé de Ben-Hur ou des Dix Commandements, vont si bien avec « peplum ». Genre populaire et spectaculaire, il semble verser délibérément dans ces reconstitutions pompeuses où se pavanent des héros musclés professant de belles paroles dans un langage ampoulé, ou complotant bassement à l’ombre de tentures ondoyantes. Dans la cour de la Cinémathèque, une jolie exposition d’affiches flamboyantes intitulée « Muscles et cuirasses » restituait très bien l’univers kitsch et coloré de ces films, où la BD n’est jamais très loin : c’est bien un plaisir cinéphile enfantin que le peplum nous fait retrouver. S’appuyant sur la mythologie antique pour façonner celle du cinéma, Hollywood a su faire montre de son pouvoir propre à substituer ses propres stars et décorums gigantesques aux modèles mythiques voués à l’imaginaire. Moïse ressemble ainsi désormais à un Charlton Heston à la barbe fournie, séparant en deux la mer rouge. Depuis Gladiator, le Colisée est, dans nos mémoires, toujours intact et peuplé par des milliers de figurants… Fort d’une programmation extrêmement riche et d’un colloque organisé autour du peplum, le festival donne ici l’occasion de faire le point sur un genre longtemps mal-aimé des critiques de films.

Un peu d’Histoire

Si l’histoire du peplum remonte aux origines de l’histoire du cinéma, elle rejoint aussi celle des innovations esthétiques et narratives du septième art, qui se prêtent aux ambitions folles des cinéastes. Les 29 minutes que dure La Chute de Troie de Giovanni Pastronne (1911) ouvrirent la voie au long métrage, tandis que David Griffith perfectionnait le montage alterné en 1916 dans Intolérance. Le choix des sujets, toujours plus grandioses, poussèrent ainsi les réalisateurs à allonger la durée des films pour en faire d’imposantes fresques, comme le monumental Cabiria du même Pastronne. Et puis, peu avant la fin du muet, la course au gigantisme s’épuise. Le peplum connait un deuxième âge d’or au début des années cinquante, quand sort La Tunique de Henry Koster, tout premier film en CinémaScope. En Italie, le genre fait des émules et s’exploite dans une veine aux limites de la parodie. Excessif, le peplum l’est jusque dans ses échecs : ceux du Cléopâtre de Mankiewicz et de La Chute de l’Empire romain d’Anthony Mann entérinent le début de sa décadence dès 1964. En Italie, le western spaghetti prend son relai en tant que genre populaire. C’est aussi à ce moment-là que l’on donne enfin un nom à ces films à costumes antiques : les « peplums », dérivé d’un vêtement de femme porté dans l’Antiquité.

Le genre renaît de ses cendres en l’an 2000 avec le succès du Gladiator de Ridley Scott. Une fois de plus, il impulse alors des innovations technologiques : les figurants sont numérisés, et le numérique permet des reconstitutions assez époustouflantes. Novateur sur le plan esthétique, le film se démarque de ses lointains prédécesseurs par ses teintes froides et grises, caractéristiques du renouveau du genre. L’abject 300, de Frank Znyder assimile quant à lui l’esthétique des jeux vidéo à celle du film, où même les corps sont travaillés via la palette graphique. Les héros ne sont plus seulement musclés, ils sont désormais bodybuildés et huileux, sortes de surhommes effrayants poussant des cris de guerre bestiaux. L’esthétisation des combats et de la violence, déjà amplifiée dans Gladiator avec force ralentis et musique enlevée, y atteint des sommets de férocité en arrêt/accéléré.

Toutes les routes ne mènent plus à Rome

Un spectacle s’inspirant de sujets issus de la mythologie, de la bible et de l’Antiquité gréco-romaine : voilà qui semble décrire au mieux le peplum. La délimitation historique se révèle souvent inopérante sinon hasardeuse pour le définir car c’est une vision fantasmatique de l’Antiquité qu’il offre, parfois aussi éloignée de la vérité historique que le regard de la science-fiction porté sur le futur. Il peut éventuellement être cerné géographiquement : essentiellement méditerranéen et moyen-oriental. Dans le cinéma des premiers temps, de nombreux épisodes de la mythologie grecque étaient transposées à l’écran, beaucoup moins pendant la période faste du genre. Alexandre, Troie, Le Choc des Titans confirment aujourd’hui un regain d’intérêt pour la mythologie grecque. Rome semble ainsi ne plus être le support privilégié des fantasmes des Etats-Unis, qui se projetteraient maintenant davantage sur la Grèce.

Discours sous-jacents

« Les hommes sont-ils la propriété d’un Etat ou des créatures libres ? »
s’enquérait l’anticommuniste Cecil B. DeMille dans un film promotionnel pour la sortie des Dix Commandements en 1956. Visées et récupérations politiques du genre sont légion : Claude Aziza, à l’origine du premier cours d’histoire et esthétique du peplum à Paris III, est ainsi revenu lors d’une brillante intervention sur les résonances historiques et politiques du peplum, plus ou moins manifestes et explicites. Quand on connaît les prises de position de Kirk Douglas pour Israël, le Spartacus de Stanley Kubrick qu’il a produit acquiert une forte symbolique politique, en faveur de ceux qui n’ont pas de patrie. Agora, film espagnol d’Alejandro Ameñabar est en tout cas symptomatique d’un changement : les chrétiens y sont les persécuteurs, non plus les martyrs. Derrière eux, se profile un large spectre des fanatiques de toutes les religions actuelles.
On peut également ajouter que ce qui frappe le plus dans le peplum, c’est peut-être sa capacité à aborder le mythe et l’immensité des destins par le petit bout de sa lorgnette familiale ou amoureuse. Le point de départ de Gladiator ? Un homme (Commode, interprété par Joaquim Phoenix) cherche l’amour et la reconnaissance d’un père (l’empereur Marc Aurèle) qui ne lui fait pas assez confiance pour en faire son successeur, et souhaite nommer le général Maximus (Russel Crowe) pour lui succéder. De ce drame familial et de ce duel dépend l’avenir d’un empire. Le mythe s’inscrit ainsi dans la sphère de l’intime, et favorise de façon parfois simpliste l’identification au spectateur avec ces personnages bigger than life.

Voyages en Italie

Après 1964 et le déclin du peplum, d’autres cinéastes, à la démarche plus auteuriste, se réapproprient le rapport à l’antique. Tout un pan de la programmation aura donc été bercé par les flots de la Méditerranée, rythmée par son cortège de mythes, encadrée par l’Italie (Capri, Rome…). La mer comme berceau de notre civilisation, est explorée par Jean-Daniel Pollet dans Méditerranée (1963), essai sur le rapprochement de temps et de lieux immémoriaux sur un texte de Philippe Sollers dit en voix-off. « La vie est un théâtre de milliers d’années », disait déjà la voix de Jean Négroni dans le court métrage qui le précédait, Bassae (1964). Le Mépris de Jean-Luc Godard fut également projeté. Fritz Lang y tourne un film sur l’Odyssée et y affirme que « ce n’est pas les dieux qui ont créé les hommes, ce sont les hommes qui ont créé les Dieux ». « Jusqu’à ce que la mer se fut refermée sur nous… » : Piccoli cite Dante, et se demande si Ulysse n’aurait pas profité de la guerre de Troie pour fuir sa femme Pénélope. Ayant perdu son amour, le seul moyen de la reconquérir est le meurtre des prétendants... « La mort n’est pas une conclusion », rétorque Lang. Une autre manière, magistrale, d’entrelacer récit du film et récit du mythe, fondateur. Sublime.

Découvertes

Zoom arrière donne aussi tous les ans l’opportunité à quelques cinémathèques européennes de venir présenter leurs récentes restaurations, et donc, chose appréciable, offre au public l’occasion de voir sur grand écran l’œuvre ranimée. Parmi elles, Fellini Roma (1972), film excentrique et foutraque, qui commence par la traversée, par un instituteur et ses élèves, du « Rubicon, le fleuve que Jules César a traversé en disant ʺAlea jacta estʺ… », pénétrant ainsi à la fois dans Rome et dans la thématique du festival. Egalement projeté, un montage de séquences que n’avait pas retenu Fellini pour la version destinée au marché international, dans lequel on peut apercevoir Marcello Mastroianni en caméo. Difficile de ne pas penser au très beau Tournée de Mathieu Amalric en voyant le film, au côté charnel de ces personnages féminins exubérants, bavards et mystérieux, suscitant chez les hommes un ardent désir, qu’elles considèrent avec désinvolture…

Autre film, restauré par la Cinémathèque de Lisbonne, qui entrait en résonance avec un des sujets de prédilection du peplum (et d’assez loin…) : Le Mystère du printemps, troisième film de Manuel de Oliveira, cinéaste centenaire encore en activité. La restauration permit d’apprécier les magnifiques couleurs de ce film décisif dans l’histoire du cinéma portugais, en équilibre entre documentaire et fiction, entretenant un jeu entre la réalité et son rapport avec sa représentation. Traditionnellement jouée par les paysans portugais à l’époque, Oliveira filme leur représentation de la Passion du Christ, tout en mettant en place un vrai dispositif de cinéma (découpage précis, pas de public, ajout d’un prologue et d’un épilogue). La dimension charnelle et spirituelle du film, malgré l’argument religieux, transpire à l’écran.


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