Festival Désir… Désirs 2010

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Accueillie par les Cinémas Studios à Tours du 20 au 27 avril, la dix-septième édition du festival s´est intéressée cette année à la très belle thématique des << Amours d´enfances >>.

Le Festival Désir…Désirs est une expérience à part entière. D’abord grâce à la nature de cette thématique qui accouche souvent d’une programmation très intense comme c’est le cas cette année avec celle des « Amours d’enfances », mais aussi grâce à l’intimité du festival qui privilégie l’immersion du spectateur, invitant celui-ci après chaque séance à débattre, autour d’un verre, avec l’équipe du festival et les différents intervenants. Festival frondeur et impertinent, Désir…Désirs est né au début des années 90 et a « longtemps été étiqueté Gay et Lesbien », nous explique Philippe Perol, créateur du festival, « au début les réactions ont été très vives, des adhérents ont déchiré leur carte des studios pour exprimer leur indignation ». Rien à voir avec l’ambiance décontractée et conviviale qui régnait à la Chapelle Sainte Anne, lors de la diffusion nocturne de Destricted, ensemble de courts métrages interdit au moins de 18 ans sur la pornographie. Très clairement orientée sur l’identité sexuelle, Désir…Désirs refuse pourtant de se priver du grand public en offrant une programmation variée et plutôt accessible sans oublier de se renouveler : « Le Festival a exploré des thématiques comme l’Amour de Soi ou la Dévoration, on avait projeté Trouble Every Day de Claire Denis. Celle des «Amours d’enfances nous trottait dans la tête depuis longtemps ». Cependant, la programmation ne s’est pas arrêtée à cette simple appellation, évoquant plutôt la nostalgie, en plaçant l’enfant au cœur du désir, qu’il en soit l’émetteur, le témoin, ou plus délicat, l’objet.
La Rumeur de William Wyler, l’enfant se place en figure accusatrice d’un amour supposé entre les deux gérantes d’un pensionnat de jeunes filles, interprétées avec grâce par Audrey Hepburn et Shirley MacLaine. La nature même de cette liaison, dans le contexte du début des années 60, ne peut alors que les vouer à la destruction et à la stigmatisation sociale. Si Wyler semble à première vue s’intéresser davantage au déploiement pervers de la rumeur c’est pour mieux contourner les contraintes morales de l’époque. Ironie du sort, la rumeur qui contamine tous les personnages du film est fondée ! Martha (Shirley MacLaine), profondément éprise de son amie d’enfance, est condamnée au déni de soi comme le montre sa violente confession sous forme d’auto-flagellation. Aveux désespérés d’un désir qu’elle qualifie elle-même de malsain. Quand bien même le traitement à l’écran de l’homosexualité semble archaïque, Martha est pourtant le seul personnage tributaire d’une émotion non-feinte à travers cet amour inavouable mais plus réel que toutes les conventions qui pèsent sur l’ensemble des protagonistes. La Rumeur, film complexe et troublant, était projeté dans le cadre d’une soirée carte blanche à Philippe Roth-Bettoni, spécialiste de l’homosexualité au cinéma et journaliste à Première. Celui-ci avait également sélectionné cinq courts métrages sur le sujet parmi lesquels on retiendra Une robe d’été de François Ozon, réalisé en 1995, qui mêlait avec adresse nostalgie et découverte de l’identité sexuelle d’un tout jeune homme, avec une infinie douceur. Plus étonnant, Mam’zelle Charlot (A Woman), de Charlie Chaplin se permet déjà en 1915 d’aborder, si ce n’est l’homosexualité, l’ambigüité de l’identité sexuelle. Charlot pour échapper à ses agresseurs est contraint de se travestir en femme. Défi remporté avec un succès qui dépasse toutes ses espérances puisque ses poursuivants tomberont sous le charme d’un Charlot dépossédé de son iconique moustache, révélant des traits incroyablement féminins et une aisance troublante dans sa nouvelle identité.
La suite du festival recentrait le débat autour de l’enfance avec un diptyque sur la pédophilie organisée autour The Woodsman et du documentaire choc Délivrez nous du mal. Le premier, sorti en 2003 et réalisé par Nicole Kassel, propose un traitement assez inattendu du sujet en déplaçant le point de vue habituel (celui des victimes) jusqu’à adopter celui d’Andrew, pédophile en pleine tentative de réhabilitation qui lutte contre ses propres pulsions. Rejeté par la société entière qui ne voit en lui que monstruosité, Andrew cherche avec douleur le chemin de la normalité sous l’œil sensualiste d’une caméra qui s’abstient de tout jugement mais essaye de capter le moindre ressenti du personnage. Grande force du film, Kevin Bacon est brillant comme à son habitude dans le rôle titre. Dommage que les autres protagonistes restent fonctionnels et que les dernières minutes du métrage s’embarrassent de choix narratifs maladroits. Cependant, cette tentative d’explorer un désir de la douleur et de la culpabilité s’insérait plutôt bien dans la thématique du festival et contrastait avec le portrait du père O’Grady que dressait implacablement Délivrez-nous du mal, documentaire terrifiant réalisé par Amy Berg. Car la figure du prêtre, qui a abusé de près de 200 enfants, est ici parfaitement manipulatrice et semble se réjouir des différentes mises en scène proposées par la réalisatrice tandis que l’authenticité et la souffrance demeurent inexorablement du côté des victimes et de leurs familles. Le désir, ici pulsionnel, maladif et destructeur revêtait sans doute son expression la plus extrême et polémique au sein du festival. « La programmation du film était prévue il y a longtemps et ne doit pas être relié à l’actualité récente » pouvait-on entendre de la bouche des organisateurs qui craignait que cette actualité parasite l’appréciation du film par les spectateurs.

Enfin, la projection du thriller Hard Candy, réalisé par David Slade, clôturait momentanément cette thématique en reprenant la trame narrative de La Jeune fille et la mort de Polanski. Hayley, une belle adolescente, suspecte un photographe de pédophilie et le séquestre pour lui faire avouer ses supposés crimes. Si la tension psychologique est bien présente, le traitement des personnages est bancal et évacue toute l’ambigüité inhérente au film de Polanski puisqu’il semble impossible de prendre parti pour la jeune femme tant le personnage est glacial. La question du désir est d’ailleurs vite évacuée par une succession de tortures psychologiques au final dispensable.
 

Bien heureusement, le festival ne se résumait pas à cette éprouvante thématique et savait exploiter l’univers frais et nostalgique des amours d’enfance. C’est pourquoi Désir…Désirs proposait une avant-première de C’est pas moi, je le jure, film québécois de Philippe Falardeau, dans une section spéciale Coup de Cœur du «Jeune Public ». Cette comédie légère raconte les mésaventures de Léon, 10 ans, décidé à commettre les actes les plus absurdes et dangereux en réaction au déchirement progressif de sa famille. A cela s’ajoute une relation d’amour-haine avec Léa, petite voisine d’en face et alter ego de Léon. Ce dernier, bien décidé à traverser le film le majeur tendu (littéralement) contre la standardisation des ses camarades, reflète à lui tout seul la dimension ubuesque et parfois tragique de l’enfance comme en témoigne la séquence d’ouverture où Léon tente de se suicider « sans faire exprès ». Au final C’est pas moi, je le jure est un petit film nostalgique avec ce qu’il faut de dureté et semble avoir conquit son public grâce à une écriture originale et un rythme enlevé. Sa présence au sein du festival et son succès ont prouvé que Désir…Désirs destinait aussi une partie de sa programmation au grand public.

Bien que plus ambigu, Krampack de Cesc Gay pouvait prétendre également à cet élargissement. Sorti en 2000, ce long métrage espagnol décrit les vacances de deux jeunes adolescents qui partent à la découverte de la sexualité, de leur sexualité. Dans la frustration ambiante, ils se laissent guider par leurs désirs au cours d’attouchements mutuels, sauf que l’un pense aux filles tandis que l’autre découvre peu à peu son homosexualité. Portrait plutôt attachant de deux ados maladroits et paumés, Krampack évacue tout l’inconfort qui aurait pu surgir d’un tel sujet en traitant son histoire avec un style télévisuel pudique qui bascule dans une comédie de mœurs bien vue. Un bon film jeunesse en somme.

Entre ses divers longs métrages, le festival a eu la bonne idée de donner une place importante à la forme brève en diffusant des dizaines de courts métrages. En plus de ceux projetés lors de la carte blanche à Didier Roth-Bettoni, on pouvait découvrir une série de petits films pour enfants lors d’un « Ciné P’tit Déj » ou, pour les plus grands, admirer tard le soir des courts métrages gays et lesbiens, lors de la soirée de clôture, regroupés sous l’intitulé Fucking Different Tel Aviv. La séance de Destricted à minuit dans la chapelle Sainte Anne (déjà occupée par une exposition autour du festival) fut très prisée comme en témoigne l’entassement subi (dans la bonne humeur) par les spectateurs…. Avant de quitter la salle un à un… refroidis peut-être par le parti pris des différents films qui traitaient souvent le thème de la pornographie en lien avec une misère sexuelle parfois difficile à suivre. Surtout quand les auteurs en question se moquent du spectateur à l’instar de Gaspard Noé avec We Fuck Alone, dans lequel le réalisateur français semble moins porté à donner sa vision de la pornographie qu’à produire une parodie egocentrique de son propre style . Larry Clark, plus pragmatique avec Impaled s’inspire des dérives de la téléréalité à travers un casting de jeunes mâles, ne voyant la sexualité que par le prisme de la pornographie, dont l’heureux élu pourra choisir l’actrice porno de son choix avec qui il accomplira une « performance » face caméra. Constat pathétique d’une sexualité fantasmée et narcissique, Impaled porte l’impertinence de son concept jusqu’au bout de sa logique en plaçant le spectateur dans l’inconfortable position d’un voyeur sans désir.

Outre cette programmation déjà riche, Désir…Désirs proposait également des séances de films classiques avec La Rumeur donc, ressorti en salle le 8 juillet 2009, mais aussi des œuvres plus connues comme La Petite de Louis Malle et Jeux Interdits de René Clément. Pour varier les plaisirs, le festival organisait également une carte blanche à Benoit Résillot, metteur en scène et acteur de théâtre, qui avait choisi d’effectuer une performance chorégraphique décalée et attachante avant de projeter un court-métrage réalisé par ses soins mais malheureusement plutôt vain. On notera aussi la présence remarquée de João Pedro Rodrigues qui venait présenter en avant-première « un film transgenre sur un personnage transgenre » à savoir Mourir comme un homme, film symbolique voire cryptique, tranchant avec la thématique des « Amours d’enfances » mais s’insérait plutôt bien dans l’ensemble de la programmation. Le festival se terminait avec L.I.E (Long Island Express), premier film de Michael Cuesta avec Brian Cox et l’excellent Paul Dano, abordant le thème de l’adolescence avec réalisme et ambigüité.

Malgré une fréquentation malheureusement très irrégulière, le cru 2010 de Désir…Désirs a commis peu de fautes de goût en proposant une programmation passionnante, destinée à enivrer et/ou à choquer les spectateurs, tout en favorisant une interaction forte entre le public et les différents intervenants. Pari qualitativement réussi même si l’image sulfureuse véhiculée par le festival (parfois malgré lui) porte encore préjudice à la curiosité du public. La thématique évocatrice des « amours d’enfances », renvoyant à une multitude de représentations, fut en tout cas parfaitement explorée au sein d’une programmation maline et relativement audacieuse.


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