Festival de Cannes 2022 – Jour 5

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Barrières, flics et cagoles

Univers à la Bilal

Ciel d’un azur presque parfait, zéphyr agréable, le festival poursuit sa route et, en ce cinquième jour, il faudrait dire un mot de l’ambiance qui y règne. Le festival de Cannes est passé lentement mais inexorablement de l’ambiance bon enfant de la Dolce Vita avec ses starlettes et ses décapotables à un univers à la Enki Bilal : des flics partout, des cagoles aux habits vulgaires qui scintillent et ne cachent rien, la mode sinistre et factice des grandes marques qui inondent la planète de leurs oripeaux hors de prix, des femmes voilées qui contemplent ce cirque, des flics armés à tous les coins et des barrières, des barrières, des barrières à perte de vue. Pour faire cent mètres, il faut bien cinq minutes et les 500 mètres qui séparent le Palais du Festival à la salle du Miramar où se tient la Semaine de la Critique paraît bien long et encombré.

Sous les figues

Sinon au niveau cinéma, quoi de neuf aujourd’hui ? Un beau film tunisien déjà présenté dans le cadre de la Quinzaine : Sous les figues, d’Erige Sehiri. Avec ce documentaire scénarisé, Erige Sehiri nous propose un magnifique portrait de femmes et d’hommes qui cueillent des figues dans un verger, mais aussi un portrait doux amer de la Tunisie contemporaine. Constitué de tableaux divers magnifiquement mis en images par la directrice de la photo, Frida Marzouk, Sous les figues est un vibrant hommage à Abdellatif Kechiche. Une des coscénaristes et monteuses du film est d’ailleurs Ghalya Lacroix qui a participé à l’écriture de la plupart des films du maître dont elle est la compagne. Enfin, on y découvre la beauté de ces jeunes filles dont l’une, avec son foulard, évoque souvent le portrait de La Jeune fille à la perle, tout comme le personnage principal, Fidé, est aussi belle dans sa sensualité et son port de princesse que Leila Bekhti. Pourtant, il n’y a aucun acteur professionnel dans ce film et les personnages sont tels qu’ils sont dans la vraie vie. Le film raconte la journée d’un groupe de cueilleurs de figues, ce fruit qui en fait est une douce fleur portée par un arbre à la feuille rude et à la fragilité étonnante des branches qui peuvent se casser comme du verre. C’est sous ce dôme de verdure que les travailleurs ont trouvé un refuge pour flirter, s’aimer, se charmer comme dans une pièce de Marivaux même si certains sentiments masculins à l’endroit des jeunes filles peuvent se montrer durs et violents. Cependant, Erige Sehiri a préféré garder le charme de cette journée au sein de la nature, en montrant des jeunes filles fortes et gaies, même si ces femmes sont entassées comme du bétail au petit matin dans la camionnette d’un patron à la fois indolent et sévère. Le figuier est d’ailleurs une belle métaphore puisqu’il contient au même moment des fruits verts, des fruits mûrs et des fruits pourris qu’il faut pouvoir choisir. Sur une belle musique d’Amine Bouhafa, et des chants populaires dont L’Estaca née sous Franco, la réalisatrice est parvenue à nous faire adorer ce petit coin du Nord-Ouest de la Tunisie berbère et sauvage en pleine mutation : « Ces ouvrières agricoles m’ont émue. J’ai discuté avec elles de ce qu’elles vivent au quotidien, de leur manière de travailler, de leurs relations avec les hommes, du patriarcat : il y avait déjà tellement de matière ! Je tenais à donner un visage à ces travailleuses habituellement invisibles. »

 

Haine et marivaudage

Pour le reste, nous avons arpenté la ville dans presque tous les sens. Hugo vous a parlé hier de Frère et soeur d’Arnaud Desplechin. J’ai pu le voir à mon tour à 16 heures dans la salle Agnès Varda, profitant d’un moment de fonctionnement de la billetterie, et j’ai pu constater que la critique n’est pas une science très exacte. Question d’âge, de sensibilité, que sais-je ? Autant Hugo a adoré ce film, autant je l’ai détesté. J’ai même quitté la salle au bout d’une heure, accompagné d’une critique italienne qui, comme moi, bouillait d’impatience sur son siège. Mal joué, hystérique, factice, mêlant la poésie à la plus terrible des réalités, on ne croit pas une seule minute à ce ramassis de clichés. Je n’ai même pas envie de lire les autres critiques car elle me feraient sans doute bondir. Mais j’ai pu constater que le cinéma actuel n’est finalement fait que de mauvais scénarios imposés à des comédiens à qui l’on demande tout. Pas étonnant qu’ils soient presque autant adulés que les footballeurs. J’ai eu la même impression un peu plus tard en sortant de la salle Debussy où sont projetés les films en compétition pour Cannes Première. C’est une sorte de mini Sélection officielle, dans une très belle salle, beaucoup moins grande que le théâtre Lumière. Les acteurs et réalisateurs sont présents, et on les ovationne encouragés par monsieur Frémaux qui monte sur la scène dans son smoking de maître de cérémonie. Les années passent et rien ne change. Pourtant le Guépard de Lampedusa ne disait-il pas : « il faut que tout change pour que rien ne change » ? Bon bref, je m’égare. Le film, c’était le nouvel opus d’Emmanuel Mouret qui tourne un film par an. Pas plus tôt oublié la bluette précédente, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, qu’on nous livre en pâture la nouvelle, Chronique d’une liaison passagère. Il faut dire que les trois comédiens sont remarquables de naturel (Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne et Georgia Scalliet) mais un peu trop rendus cabotins, ou du moins théâtraux, par ce genre de vaudeville moderniste à la Marivaux mais qui fait penser, en plus lourdingue, à un mauvais Woody Allen. Un peu trop long pour finir, comme c’est la tendance de nos jours vu que les films dépassent très souvent les deux heures.

Vers dix heures, petit tour par la salle du Miramar pour un film de la Semaine de la Critique. Un premier film donc. Salle bondée, arrivée difficilement à l’heure vu les attroupements autour du Palais et des grands hôtels pour apercevoir quelques stars et dans quel but. Aftersun de Charlotte Wells raconte les vacances en Turquie de Sophie et son père tendre et borderline à la fois, dans un la vacuité d’une énième club de vacances. Sophie découvre la vie, le farniente, le soleil de la Turquie, la mer et les jeunes gens de son âge ou plus vieux, en même temps qu’elle se rapproche de son père qu’elle l’observe avec d’autres yeux, notamment celui de la caméra. Elle joue sans cesse avec la mini DV renvoyant des images déconstruites dans un film qui semble en train de se faire. L’ambiance est toujours à la fois prégnante et dérangeante comme au seuil du franchissement de tabous et du suicide dans des séquences souvent d’une grande beauté. Ce film à la fois solaire et ténébreux repose sur le jeu des deux acteurs principaux – Paul Mescal et Celia Rowlson-Hall – et mériterait bien une récompense.

Il était trop tard pour aller assister à Fumer fait tousser de Quentin Dupieux ; à mon grand regret j’ai dû l’annuler sur cette application défaillante. Si les acteurs m’étonnent par leur talent et leur sérieux dans les films, les festivaliers m’inquiètent de plus en plus. Ils ont des moeurs qu’un ethnologue de talent pourrait bien analyser. Ils arrivent chargés de divers sacs, toujours en retard et pressés, sortent souvent en courant de la salle pour courir vers une autre et, dans le noir de la salle, traumatisés sans doute par la billetterie en ligne, ils ressemblent à des lucioles qui se noient dans la lumière aveuglante de leurs portables.

Bientôt, avec Hugo, nous reviendrons sur les films de l’Acid qui sont souvent d’excellente qualité mais dont on parle peu à Cannes hélas. Je sais qu’Hugo a pu voir aujourd’hui La Colline de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova, et il reviendra sur ce film à ce moment-là. Mais il y avait aussi dans la compétition officielle Boy from heaven de Tarik Saleh en qu’on tentera de voir demain et Goutte d’or de Clément Cogitore présenté à la Semaine internationale de la Critique. Un beau matin de Mia Hansen-Løve est encore un film sur la maladie du père, ça commence à bien faire comme si les scénaristes étaient maintenant à cours d’idées. Qu’ils aillent visiter les vergers de figuiers de Tunisie au lieu de se contempler le nombril. Et on aurait adoré voir le dernier film interprété par Gaspard Ulliel, Plus que jamais, et qui a suscité une vague d’émotion dans la salle où étaient présentes Vicky Krieps et la réalisatrice Emily Atef.

Sur ce, je vais m’endormir sur cette constatation que je vous livre en pâture. Parmi tous les placards publicitaires énormes sur des objets de luxe qui longent la Croisette, on découvre cette année que Tic Toc est le nouveau partenaire officiel du Festival de Cannes. Ca en dit long, non ?

 


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