Festival de Cannes 2012 – Jour 8 : Deux mondes

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La Croisette hue « Paperboy » ; nous, on l’aime plutôt bien. Catherine Corsini revient avec « Trois mondes » ; on aime moins.

Cannes Jour 8. Une bonne nuit de repos, et ça va tout de suite mieux. Après l’éclat Carax et le rafraîchissement Hong Sang-Soo hier, la compétition officielle reprenait des allures plus mainstream avec la projection en séance du matin de Paperboy, le nouveau Lee Daniels, à qui l’on devait déjà Precious, qui avait ses qualités mais qu’on n’est pas tout à fait sûrs d’adorer. Paperboy n’a lui non plus rien de transcendant, mais il a l’avantage d’offrir un peu de fraîcheur en cette fin de festival, et s’offre un peu comme un Sexcrimes version 2012, à savoir, en gros, meurtre et sexe dans le bayou du Sud des Etats-Unis. Le film, assez moite, rassemble au casting Matthew McConaughey (au générique donc de deux films de la Compétition officielle, avec celui-là et Mud), Zac Efron, Nicole Kidman, John Cusack et Macy Gray. Casting surprenant, pour un film moins bête qu’il n’en a l’air et hué en projection, on ne sait pas très bien pourquoi.

Ça commence comme La Dernière marche, pour finir comme La Couleur des sentiments mais qu’on aurait retourné, ôtant le côté feel good pour ne garder que le sordide. Un homme est condamné à mort (Cusack), il aurait tué un shérif du comté. Autour de son cas s’affairent les deux fils d’un magnat de la presse (McConaughey et Efron), un rédacteur black et une beauté locale (Kidman), cheap et trop maquillée pour son âge, tombée amoureuse par missives interposées de l’accusé. Ensemble, ils vont tenter de prouver son innocence.
Intéressant de voir comme Paperboy déploie d’abord tout un champ de références au cinéma de genre, avant d’en prendre le contre-pied pour raconter plutôt l’histoire d’un jeune homme de 20 ans épris d’une femme trop vieille pour lui, pas exactement élégante mais de laquelle il ne peut pas détacher les yeux. Nicole Kidman est parfaite dans ce rôle-là, elle sait jouer la vulgarité sans verser dans le scabreux, et ose un certain nombre de séquences réussies parce que gênantes, et qu’on n’attendait pas du tout, comme celle où elle mène Cusack et elle-même à l’orgasme rien qu’en ouvrant les jambes devant l’ensemble des personnes venues rendre visite à l’accusé en prison. « Faire l’amour est la chose la plus naturelle du monde », dit-elle à Zac Efron qui, à force de persuasion, arrivera plus tard à ses fins. Dans une époque où le sexe ne saurait se faire hors mariage, Paperboy devient aussi l’histoire de premières fois.
 


 
Drôle aussi de constater que Paperboy, alors qu’on l’imaginait film noir dans les états ségrégationnistes des Etats-Unis au courant des années 60, ressemble plutôt à un thriller érotique dans une société où les Noirs n’ont pas leur place, mais où aucun n’est jamais présenté comme victime. Aucun manifeste là-dedans, l’intolérance existe, on ne la nie pas, mais ce n’est pas le sujet, juste la toile de fond. Il s’agit en fait de filmer les corps sous un soleil de plomb et une humidité asphyxiante : les aisselles transpirent, les fronts ruissellent, il fait toujours trop chaud. Zac Efron passe beaucoup de temps en slip : dommage, au début du film, on avait presque commencé à le prendre pour un acteur.
Ce n’est pas très grave, puisqu’il s’agissait surtout de mettre les comédiens là où n’a pas l’habitude de les voir. De ce point de vue-là, c’est vraiment réussi, et plutôt convaincant. Sans rien dévoiler, une scène témoigne de la singularité de Paperboy : à mi-film, on retrouve McConaughey ensanglanté, nu, pieds et poings liés par du matériel sado-maso. Il est en fait homosexuel, c’était suggéré sans être dit, il aime les « nègres », a du mal avec ça. Ce n’est pas le moindre retournement d’un film qui, à défaut d’enchanter, ménage des surprises dans à peu près chaque plan.
Paperboy est donc comme ça, faux polar en zone humide, vraie galerie de personnages décomplexés aux mœurs viciées. On n’en dira pas plus, si ce n’est que Lee Daniels s’est fait plaisir, et qu’on ne déteste pas voir Barbie (Kidman) et Ken (McConaughey/Efron) méchamment violentés.
 

 
Et puis le Catherine Corsini, Trois mondes, présenté à Un certain regard, et dont il n’y pas grand chose à dire. Un homme se fait renverser par un jeune chef d’entreprise bourré (Raphaël Personnaz) qui prend la fuite. Depuis son balcon, Juliette (Clotilde Hesme) voit tout. Alerte la femme de la victime (Arta Dobroshi, vu et aimée dans Le Silence de Lorna), s’implique, devient amie avec elle, retrouve le chauffard et tombe amoureuse de lui. Ça n’est pas très fin, c’est lourdement symbolique et beaucoup trop littéral. Les trois mondes du titre sont, en gros, le nouveau riche qui ne veut pas perdre sa place durement gagnée ; l’étudiante qui ne peut s’empêcher de vouloir aider ; et l’immigrée clandestine sur qui pleuvent tous les malheurs du monde. Trois mondes qui n’auraient pas dû se rencontrer, ok, on a bien compris. Sauf que l’ensemble tourne à vide, qu’on a hâte que quelqu’un prenne une décision un jour, et qu’on aimerait bien que la lutte des classes soit un peu moins prononcée. L’idée du fait-divers qui bousille une vie entière n’est pas inintéressante ; mais on l’a vue mieux traitée, moins creuse. Difficile encore, après Partir, de s’enthousiasmer pour le travail de Catherine Corsini, qui signe là un petit drame bien français qui prétend à l’universalité mais s’englue dans les clichés.

Quoi qu’il en soit, les deux films vus aujourd’hui présentent encore deux mondes différents, deux visions bien distinctes de faire du cinéma et de l’envisager. C’est pour ça qu’on vient à Cannes, pour ça qu’on reste. Ce soir, le nouveau film de Sergei Loznitsa, qui avait intrigué fin 2010 avec My Joy. Cette fois, ça s’appelle Dans la Brume, et ça parle de collaboration dans la forêt russe durant la Seconde Guerre mondiale. Un grand moment de décontraction, assurément. 

Journées précédentes :
Festival de Cannes 2012 – Jour 1 : Trouver son rythme
Festival de Cannes 2012 – Jour 2 : Les amours contrariées
Festival de Cannes 2012 – Jour 3 : Toute première fois
Festival de Cannes 2012 – Jour 4 : All is love
Festival de Cannes 2012 – Jour 5 : Sections parallèles
Festival de Cannes 2012 – Jour 6 : Plein soleil
Festival de Cannes 2012 – Jour 7 : Le champ des possibles


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