Cependant, et malgré les personnages grotesques qu’il déploie, il est impossible de ne pas reconnaître les qualités visuelles évidentes de la réalisation de Bourdos. Par ailleurs, le film peut même se vanter d’avoir quelques scènes marquantes en faisant un usage très efficace de ses effets, de ses silences ou de ses musiques (la coupe des palmiers mise en scène comme un ballet grandiose en début de film par exemple). La variation de la narration entre les différents personnages fonctionne, elle aussi, indubitablement. Elle fonctionne d’ailleurs si bien que cette construction chorale va par moments essayer de se faire passer pour du Desplechin, et échouera en manquant d’y conférer une quelconque émotion. On pense aux scènes avec Damien Chapelle, thésard (puceau et imberbe… forcément !) qui, après avoir souhaité partir en Biélorussie étudier sur des archives improbables, doit dorénavant s’occuper de la grande maison familiale après l’hospitalisation psychiatrique de sa mère. Au delà de ce personnage tout droit sorti de Trois souvenirs de ma jeunesse, Espèces menacées tente de donner un surplus d’âme à des personnages bien fades.
Mais l’échec le plus problématique du film réside dans la contradiction grossière sur laquelle il a été pensé, construit puis réalisé. Car en voulant rendre hommage aux combats des femmes, aux souffrances qu’elles endurent et aux injustices qu’elles doivent supporter, Espèces menacées ne peut pas s’empêcher de rester une « histoire d’hommes ». Au fond, ces derniers sont le véritable centre narratif du film : on les voit travailler, manger, douter ; on les voit battre, se battre, combattre ; ils sont à la fois la cause et la résolution du problème. Les femmes dans tout ça ? Elles sont mises de côté, catapultées dans des rôles de soutien et ne sont ni la cause ni la résolution du problème. Point culminant de ce paradoxe : les « espèces menacées » du titre le sont physiquement, dans la vie, mais, via leur relégation systématique au second plan, le sont aussi à l’écran. Espèces menacées se révèle alors comme symptomatique de tout un pan du cinéma français. Celui qui a la prétention absurde de vouloir décrire la détresse des femmes en adoptant systématiquement un point de vue masculin, réduisant celles-ci à des personnages secondaires et unilatéraux quand, dans le même temps, il affirme les représenter. On assiste ici, une fois n’est pas coutume, à un énième féminisme de posture.