Entretien avec Jean-Michel Huctin

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Jean-Michel Huctin a vécu plusieurs années avec les Inuit du Groenland. Co-auteur du Voyage d’Inuk avec le réalisateur Mike Magidson et dont la sortie est prévue pour 2009, Huctin revient sur son parcours et en profite pour nous faire rêver.

Le cinéma est-il entré dans votre vie par hasard, ou avez-vous toujours ressenti un léger intérêt pour ce monde ?

Le cinéma a toujours occupé une place importante dans ma vie culturelle. Lorsque je donne des cours au lycée, je l’utilise aussi beaucoup comme support éducatif au même titre que la littérature. C’est pourquoi je suis si heureux aujourd’hui d’avoir écrit une histoire qui a été mise en images pour le grand écran. D’autant que notre film, « On Thin Ice » ou « Le voyage d’Inuk« , est une aventure cinématographique pas comme les autres…

Comment êtes-vous arrivé au Groenland ?

D’abord en rêve, grâce aux récits fabuleux d’explorateurs et ethnologues français, comme Paul-Emile Victor et Jean Malaurie. Ils ont exalté en moi l’envie de voyager autrement, et plus particulièrement de mieux connaître les Inuit (sans « s » car Inuit, est déjà un pluriel). A la suite d’une rencontre absolument improbable il y a 12 ans en France avec une colonie de vacance d’enfants groenlandais, j’ai tout plaqué pour aller vivre avec eux sur leur île d’Uummannaq, à près de 600 km au Nord du Cercle polaire.

 

Pouvez-vous me raconter votre parcours ?

J’ai vécu 4 ans dans cette communauté arctique et depuis 7 ans, j’y séjourne en moyenne plusieurs mois par an. J’ai appris la langue des Inuit du Groenland, le « kalaallisut », et partagé leur vie. Puis, j’ai voulu témoigner, non pas sur mes petites aventures personnelles, mais de leur vie actuelle entre traditions et modernité. J’ai donc commencé par prendre beaucoup de photos, près de 70.000 aujourd’hui. Et durant l’hiver 2000, je suis revenu en France avec l’idée de réaliser un documentaire télé qui leur soit vraiment fidèle. Mais je ne connaissais personne ou presque dans le milieu audiovisuel. Par chance, j’ai rencontré Sylvie Barbe (productrice de DocSide Productions) et Mike Magidson (réalisateur/producteur de C’est la vie ! Films), avec qui deux documentaires ont été réalisés. Puis, j’ai coécrit ou conseillé/organisé le tournage de 5 autres docs, dont deux « Escales » pour Thalassa. En fait, c’est au milieu des glaces de l’Arctique que j’ai pris goût à la création audiovisuelle !

Quelles sont les thématiques que vous souhaitiez aborder avec ce film ? S’agit-il d’une expérience personnelle ?

Le scénario est tiré d’une expérience réelle et exceptionnelle à laquelle j’ai participé au Groenland, en étant souvent le seul occidental, durant ces nombreuses années : de longues expéditions en traîneau sur la banquise, où des chasseurs emmènent avec eux des jeunes Inuit et leurs éducateurs. Il s’agit d’aider ces jeunes à surmonter les traumatismes de leur enfance maltraitée, en leur faisant redécouvrir la culture traditionnelle de leur pays qu’ils ont perdue, ou qu’ils n’ont jamais connue. Lors de mes séjours dans ces hautes latitudes, j’ai travaillé périodiquement dans le foyer d’enfants qui possède cette démarche éducative depuis 15 ans. C’est dans ce foyer que nous avons tourné : sans la collaboration totale de sa directrice Ann Andreasen et de ses éducateurs, le film n’aurait pas été possible. Sans le talent et la ténacité à tout épreuve de l’équipe technique non plus d’ailleurs.

Quel est le point de départ du scénario du Voyage d’Inuk ?

Au tout début, Mike Magidson (le réalisateur) et moi avions envie d’aller plus loin que la démarche documentaire qui était la nôtre : garder certes son authenticité, mais en y ajoutant l’émotion de la fiction. Cette fiction devait porter sur le même sujet que nos docs précédents, mais en permettant de raconter toute l’histoire de ces enfants blessés : leur voyage du béton à la banquise, depuis le Sud moderne du Groenland où ils vivent, jusqu’au Grand Nord de leur pays où ils sont envoyés par les services sociaux pour tenter de se reconstruire au contact de chasseurs inuit. Pour cela, il fallait évidemment s’écarter de l’institutionnel et se focaliser sur des personnages. Heureusement, il y avait les centaines d’histoires que j’avais entendues ou que j’avais vécues pendant cette dizaine d’années passée à partager la vie de ces jeunes et des chasseurs d’Uummannaq. En même temps, il fallait absolument éviter tout passéisme et tout misérabilisme en écrivant une histoire inspirée de la réalité et optimiste dont les Inuit pouvaient être fiers.

Comment s’est déroulé le choix de la distribution ?

Le choix des acteurs a été un sujet brûlant depuis le début du projet : pouvait-on faire seulement confiance à nos amis inuit qui n’avaient pourtant jamais joué dans un film de fiction, mais qui avaient prouvé leur capacité à improviser des scènes proches de leur vie, ou devait-on au contraire assurer en prenant un ou des acteurs professionnels ? La recherche de la plus grande authenticité a guidé notre choix. Lors de l’écriture du scénario avec Mike, les personnages n’étaient pas seulement de papier. En m’inspirant de leur vie, je voyais déjà qui des jeunes ou des chasseurs inuit pouvait correspondre aux différents rôles. Sur place, le choix était limité, dépendant aussi de la motivation des uns et des autres à jouer dans un film de fiction. Le casting s’est donc imposé de lui-même, juste avant le tournage. Nos acteurs inuit non-professionnels ont ensuite dépassé toutes nos espérances.

 

Vos projets ?

D’abord, mettre toutes mes forces dans notre film. J’aimerais aussi avoir le temps nécessaire pour terminer une thèse en anthropologie sur la culture inuit et pouvoir enfin publier le livre que j’ai dans la tête depuis tant d’années. Et pourquoi pas, pour un autre coup de cœur, écrire un nouveau film…

Pensez-vous un jour prendre la caméra pour tourner votre propre film ?

Peut-être si l’occasion se présente, mais je ne me considère pas comme un cinéaste de profession ou même en devenir. J’essaie seulement de prendre du plaisir en vivant des expériences uniques dans d’autres cultures, tout en partageant ces expériences avec ceux que cela intéresse. Il faut témoigner bien sûr, mais en laissant la parole à l’Autre si différent de nous. Car dans l’intimité des Inuit pendant des années, j’ai compris qu’ils ont beaucoup à nous apprendre. Notamment sur des relations humaines différentes, pas encore entièrement polluées par l’argent-roi. Et puis évidemment, comme d’autres peuples autochtones, ils ont su conserver ce lien profond avec la nature que nous, Occidentaux, commençons tout juste aujourd’hui à essayer de retrouver pour mieux vivre, ou pour tenter de sauver la planète du désastre écologique qui s’annonce.


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