Entretien avec Alicia Scherson

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A l’occasion de la sortie en salle du film Play

Après plusieurs courts-métrages, qu’est-ce qui vous a poussé à faire un long-métrage ? Pourquoi maintenant ?

Alicia Scherson : Le court-métrage me parait désormais trop court (rires) ! J’ai accumulé beaucoup d’idées avec le temps et le format du court-métrage me semble aujourd’hui un peu pesant et difficile. Dans un court-métrage, on n’a que très peu de temps et de manières pour exposer ses idées. Je crois que c’est un format qui ne me satisfait plus maintenant.

Est-ce un choix d’avoir pris deux acteurs non professionnels pour les rôles principaux ? Qu’est-ce que cela apporte à votre film ?

Alicia Scherson : En fait, les deux acteurs principaux sont professionnels, mais pas dans le domaine du cinéma. Ils n’avaient jamais fait de cinéma ni de télévision auparavant, mais ce sont des professionnels du théâtre. J’ai donc fait un choix : j’ai pris deux protagonistes non connus au Chili pour les rôles principaux mais par contre, j’ai choisi des acteurs connus pour les personnages secondaires.

Comment avez-vous travaillé avec eux ?

Alicia Scherson : Il faut tout d’abord savoir que l’industrie du cinéma au Chili est très petite. Elle produit tout au plus une dizaine de films par an. Peu d’acteurs chiliens sont donc vraiment habitués à travailler face à une caméra. Mais, je pense que certains acteurs ont un véritable feeling, une connexion naturelle, qui se fait avec la caméra. C’est quelque chose, selon moi, que l’on a ou pas ; ou alors que l’on obtient après de très nombreuses années de pratique. Par exemple, Viviana Herrera (Cristina) ne s’était jamais retrouvée face à une caméra auparavant et vraiment, la façon dont elle s’est « connectée » à elle était quasi génétique, innée. C’était très surprenant pour moi de voir et de ressentir cela.

Dans votre film, on entre souvent dans l’univers des personnages à travers leur musique. Pourquoi cette quasi omniprésence de la musique à travers le film ? Quel est son rôle ?

Alicia Scherson : A l’origine, je ne pensais pas que le film comprendrait autant de musique mais petit à petit, il y en a eu de plus en plus. En fait, l’iPod est un bon prétexte pour mélanger différentes musiques. Finalement, il y a peu de musique incidente comme on dit mais plutôt des petites compositions réalisées par Roberto et deux autres musiciens américains. Celles-ci sont placées à des moments bien spécifiques du film. La musique se trouve alors à l’intérieur de l’histoire et permet de naviguer d’une bande sonore d’un personnage à une autre. Cristina trouve l’iPod contenant toute la musique de l’autre (Tristan) et c’est ainsi qu’elle réussit à s’approprier une partie de la vie de l’autre.

Pourquoi avoir choisi de faire entrer Cristina dans le monde de Tristan par le biais de son sac et de ce qu’il contient ?

Alicia Scherson : En réalité, les objets qui nous appartiennent, les vêtements que l’on porte, nous définissent d’une certaine manière. Ils sont nous. Cristina va donc connaitre Tristan, en premier lieu, à travers tous les objets qui lui appartiennent, sa musique, ses papiers, ses photos…J’essaie alors de poser les questions suivantes : avec tout ceci, peut-on recomposer une personne ou non ? Que manque-t-il, dans ce cas précis, pour connaître réellement Tristan ?

Vous faites aussi entrer le spectateur dans certains rêves, assez étranges, des personnages. Quelle est leur signification ?

Alicia Scherson : Ce que je n’aime pas habituellement dans les films, c’est que les rêves sont forcément associés à une symbolique précise. Ceci signifie cela, ce rêve fait appel à la mort, etc… Je souhaitais donc jouer avec des rêves très difficiles à interpréter mais qui, cependant, au même titre que les objets que nous détenons, font partie de nous. Sans aucun doute, si je rêve de poussins, c’est qu’il y a une raison, mais je ne vois pas la nécessité d’une interprétation psychanalytique ou mystique pour savoir ce que cela signifie ; je ne veux pas avoir affaire à un dictionnaire des rêves. J’avais juste envie de jouer avec des rêves très mystérieux. Mais je vous assure, j’ai déjà rêvé d’une plaquette de beurre (rires) !

Les sons (parfois tout est silencieux et un seul son ressort) et les odeurs (Cristina a besoin de sentir les choses et surtout les gens) sont très présents dans le récit…

Alicia Scherson : Je crois que le son est la chose la plus importante et la plus utile du cinéma. Malheureusement, elle est aussi très peu explorée. Selon moi, le cinéma est trop dirigé par la vue. La caméra, d’une certaine manière, est devenue le dictateur du cinéma alors qu’il y a beaucoup plus qu’elle dans un film. Je pense que le son, bien plus que la vue, permet de rendre compte d’une sensation tactile. Par le son on obtient la sensation du toucher, capable de donner la chair de poule. Quant aux odeurs, il est vraiment très difficile de les transmettre à travers un film. On pourrait faire des expériences avec un cinéma qui enverrait des odeurs dans la salle, « l’olorama » ; ou alors on gratterait des papiers qui diffuseraient différentes odeurs durant le film. Avec cet attachement aux odeurs, j’ai essayé de traduire, de mettre en avant les autres sens, en plus de la vue, qui peuvent exister et cohabiter dans un film.

Quel est le rôle du vieil hongrois dont s’occupe Cristina et à qui elle fait la lecture ?

Alicia Scherson : Cristina est une jeune fille Mapuche (indiens du sud du Chili). D’une certaine manière, elle est une immigrée au sein de son propre pays. Le Hongrois, comme beaucoup d’autres (européens, juifs de nombreuses nationalités…), est venu en Amérique au début du XXème siècle. J’ai voulu mettre en parallèle ces deux personnages. La génération du Hongrois est plus vieille, mais ce sont aussi des immigrés dans Santiago, tout comme Cristina. D’une certaine manière, ça me plaisait que ces deux personnages soient des étrangers dans cette ville. Ils ne sont pas de la même génération mais ils ont ce point-là en commun. Et puis ce vieux vit seul dans un endroit qui perdure, au sein d’une ville qui bouge en permanence et très rapidement. C’est une sorte de petite oasis qui demeure immobile au cœur d’un Santiago en perpétuelle mutation.

Dans Play, vous mettez en avant la solitude de certains personnages. Ce qui peut paraître étrange, c’est que cette solitude contraste avec les couleurs lumineuses de la ville, des maisons…

Alicia Scherson : Pour moi, l’idée que ce qui est triste doit être gris est une convention inventée et fausse ; en effet, si nous sommes tristes et que l’on passe devant un champ de fleurs, nous serons toujours aussi tristes. La couleur n’y fait rien. Santiago est considérée comme une ville très grise. En vérité, elle ne l’est pas du tout. Les couleurs que j’ai utilisées dans le film ne sont pas rajoutées. Ce sont les couleurs naturelles de la ville. Mais il est vrai que dans Santiago on peut rencontrer aussi bien du gris que de l’orange. En tout cas, aucune couleur n’est manipulée dans Play et par ce côté, le film ressemble beaucoup à un documentaire. Je n’ai pas voulu exagérer ni falsifier la beauté qui se dégage de cette ville. En fait, si l’on regarde de plus près, la plupart des couleurs sont des couleurs fortes mais elles ne proviennent pas forcément de jolis endroits, de petites maisons parfaites avec des murs parfaits. Par exemple, à un moment il y a un mur orange mais c’est un mur en métal de la compagnie de gaz. C’est juste une chose industrielle mais que quelqu’un a décidé de peindre en orange. Ce sont donc des couleurs qui sont dans la ville mais tout cela n’a rien à voir avec une certaine beauté que l’on pourrait qualifier de romantique. Romantique, Santiago ne l’est pas. Il n’existe pas d’imaginaire de cette ville lui donnant une image de type carte postale, parfaite, romantique…mais en revanche il y a des couleurs, plein de couleurs que je trouvais très intéressantes.

Peut-on voir un peu de vous en Cristina, dans le fait qu’elle ne vit pas dans sa ville natale et qu’elle se sent un peu étrangère dans Santiago, même si elle adore cette ville ?

Alicia Scherson : Non, il me semble qu’on peut me percevoir dans chacun des personnages, pas seulement en Cristina. En fait, socialement je suis même plus proche de Tristan. Mais je me retrouve dans tous les personnages du film, même dans le lapin. Oui c’est ça, en réalité je ressemble plutôt au lapin (rires).

Le frère d’Alicia Scherson, Roberto qui a composé quelques morceaux de musique pour le film, était aussi présent lors de l’entretien. Il a réagi, notamment à propos de la musique de Play.

Roberto : Pour moi, la musique du film est forte et donne une atmosphère très particulière au Santiago d’aujourd’hui. De plus, elle est bien mise en valeur et apporte une certaine sensibilité au film. Les musiques sont très diverses et pourtant, elles s’unissent toutes autour de ce Santiago contemporain où tous ces éléments sont réunis et cohabitent. C’est aussi un très bon reportage sur Santiago, le « vrai ».

J’avoue avoir été très étonné par la musique du film. En réalité, je ne la connaissais pas. J’ai composé quelques petites choses pour le film mais lorsque je l’ai vu pour la première fois, j’ai trouvé que tous les choix musicaux étaient très bien adaptés à cette image que nous pouvons avoir, dans notre subconscient, de Santiago. Alicia a réussi à faire de la musique un élément très important, devenant même actrice du film.

Deux choses m’ont particulièrement plu dans Play. La vision de Santiago est en fait très difficile à rendre à l’écran car finalement c’est une ville quasi indescriptible de par le fait qu’elle n’évoque pas un imaginaire aussi précis que des villes comme Paris ou New-York dans l’univers du cinéma. Moi-même j’ai redécouvert Santiago à travers ce film. En le regardant, je me suis vraiment dit : « Voilà, c’est Santiago, sa musique, son atmosphère ». Ce que j’ai beaucoup aimé aussi, c’est que tous les types de musique sont présents : musiques actuelles, latines, ambigües…Et c’est ce mélange que j’ai préféré.

Voilà, dans ce film on retrouve la musique et la vision de Santiago, le véritable personnage qu’est Santiago.

Propos recueillis en mars 2007 par Morgane Postaire.

Titre original : Play

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Durée : 105 mn


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