Elle s´appelle Ruby

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Brassant des thématiques passionnantes, le deuxième film de Dayton et Faris séduit par sa légèreté mais déçoit par son manque d’audace.

Comment enchaîner après un premier succès ? Question délicate, qui se pose autant à Jonathan Dayton et Valerie Faris, réalisateurs du pétillant Little Miss Sunshine (2006), qu’au héros de leur second long métrage, Calvin, jeune auteur d’un best-seller, devenu victime du syndrome de la page blanche. Le couple de réalisateurs s’avère désireux, comme Calvin, d’éviter la redite sans pour autant se renier. D’où une prise de risque qu’il convient de saluer : après un Little Miss Sunshine qui tirait habilement partie de sa dimension chorale et itinérante, Dayton et Faris relèvent ici le défi d’un film plus épuré, presque sédentaire, reposant avant tout sur ses deux interprètes principaux : d’abord Paul Dano (actuellement à l’affiche de For Ellen), qui confirme son statut d’acteur emblématique du cinéma indépendant états-unien ; ensuite Zoe Kazan, également scénariste du film – pour l’anecdote, compagne de Dano dans la vie et petite-fille d’Elia Kazan.

Paul Dano promène d’un bout à l’autre du film sa silhouette efflanquée et sa gaucherie adolescente. Il incarne à merveille Calvin, écrivain angoissé dont les lunettes cerclées de noir évoquent un Woody Allen juvénile. Malgré sa célébrité, Calvin mène une existence plutôt terne. Il ne fréquente guère que son frère et son psy et vit avec son chien, baptisé Scott en hommage à F. Scott Fitzgerald. Or une fille mystérieuse apparaît dans ses rêves. Elle est rousse, pleine de vie, aussi névrosée que lui. Il devient amoureux de ce fantasme et, sur les conseils de son psy, décide de lui consacrer son deuxième roman. L’inspiration est retrouvée, plus puissante que jamais. Calvin n’en dort plus. Jusqu’au matin où Ruby (c’est le nom de cette créature imaginaire) apparaît dans sa cuisine, en chair et en os, exactement conforme à ce qu’il a écrit d’elle – et inconsciente d’être issue de son cerveau de romancier.

Sur ce postulat fantastique, Elle s’appelle Ruby pourrait broder des méditations passionnantes sur les affres de la création, la métabolisation du désir en écriture et du fantasme en réalité. Or le film effleure à peine ces thématiques dont Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 2004) ou Charlie Kaufman (Synecdoche New York, 2009) auraient fait leur miel. Dayton et Faris préfèrent développer une réflexion touchante mais pas vraiment originale sur la précarité des rapports amoureux, la dépendance affective, les affres de la jalousie. Le résultat, certes plaisant, laisse le spectateur sur sa faim, comme si cette feel-good comédie avait fait sienne la bulle de Calvin et se contentait de se mouvoir d’un bout à l’autre de son petit univers clos, sans jamais oser en sortir ni se mettre en danger.

Toutefois, au moins deux scènes détonnent avec cette frilosité. Durant la première, Calvin se voit reprocher par son frère de ne pas faire profiter les autres hommes de cette créature qu’il peut contrôler à sa guise ; en la gardant pour lui et en lui faisant l’amour, il commettrait même une sorte d’inceste mental ("mindcest"). L’autre scène confronte Calvin avec son ex, Lila, qui l’accuse d’avoir été égocentrique et de ne l’avoir jamais aimée pour ce qu’elle était mais à travers l’image qu’il se faisait d’elle – troublant télescopage avec Ruby. Autant de failles où Elle s’appelle Ruby se garde bien de s’engouffrer.

Dès lors, guère surprenant que la principale référence dont puissent se targuer Dayton et Faris soit La Rose Pourpre du Caire (1984). Elle s’appelle Ruby partage la fantaisie délicate et régressive du film de Woody Allen, sa légèreté burlesque, mais aussi sa relative impuissance. Ces deux œuvres s’épanouissent en effet dans la mise en scène culottée, fluide, de la confusion entre le réel et l’imaginaire puis se dégonflent jusqu’à devenir des divertissements certes estimables, mais loin des vertiges qu’on avait cru frôler. Une déception à mesurer à l’aune du charme ténu que le film distille malgré tout.

Titre original : Ruby Sparks

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Durée : 103 mn


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