DVD « Prime Cut » de Michael Ritchie

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Longtemps invisible en France, « Prime Cut » (« Carnage » en VF) sort enfin du bois. Imparfait mais totalement à part, ce polar rural avec Lee Marvin et Gene Hackman est à découvrir sans attendre.

L’histoire de Prime Cut est d’une simplicité digne des meilleures séries B : Devlin est un « recouvreur de fonds » à qui on ne la fait pas, un dur de Chicago. La mafia l’envoie au Texas récupérer l’argent prêté au propriétaire d’un ranch et d’une usine de viandes qui porte le nom curieux de Mary Ann. Arrivé sur place, Devlin se rend compte qu’il va devoir employer la manière forte : Mary Ann a transformé les précédents hommes de main en chair à saucisse (littéralement), et, avec son frère, prospère sur place dans le trafic d’esclaves sexuels et de cocaïne. Pour corser le tout, la femme de Mary Ann, Clarabelle, s’avère être une ex de Devlin…

Dans les bonus de l’édition DVD concoctée par Carlotta, le cinéaste Frédéric Schoendoerffer et le cinéphage Jean-Pierre Dionnet conversent autour de Prime Cut dans une salle de cinéma. Improvisé mais passionnant, l’entretien pose entre autres cette question incontournable : pourquoi Michael Ritchie n’est-il pas devenu un grand réalisateur ? Pas que le cinéaste américain ait fini dans les limbes, mais au vu de son début de carrière, il était permis de penser que Ritchie parviendrait à signer des films plus intéressants que Fletch aux trousses, Golden Child ou Parle à mon psy, ma tête est malade. Avant d’enquiller les comédies sur le base-ball ou le football américain (l’homme, décédé en 2001, était de fait un grand fan de sport), Michael Ritchie avait signé deux excellents longs-métrages avec Robert Redford (La descente infernale et l’inusable Votez McKay), ainsi que ce Prime Cut, réalisé en 1972, avec Lee Marvin et le jeune Gene Hackman en vedette.

Décalages et surréalisme


Indubitablement, le metteur en scène, issu du documentaire et de la télévision, a une idée derrière la tête en tournant ce script à la Jim Thompson. Dès le générique, qui décrit sans paroles, mais avec un cynisme glaçant le fonctionnement de cette fameuse usine à viandes (où périt hors-champ le fameux homme-saucisse), Prime Cut s’engage sur des rails étranges, opposant en quelques plans naturalistes l’agitation familière des grandes villes et les paysages pastoraux et idylliques de la campagne texane. Tous les motifs visuels du film tendent à souligner cet aspect décalé, avec l’impassible et impeccable Marvin entouré de ses hommes de main en costume cravate d’un côté, et un Gene Hackman au sourire carnassier à la tête d’un gang de bouseux maniant la fourche et le maillet de l’autre. Même la sous-intrigue consacrée à Sissy Spacek, qui joue l’une des innocentes esclaves vendues à de libidineux Texans que Marvin va se mettre en tête de sauver, paraît iconoclaste, la faute à des dialogues et des situations (la scène du restaurant où la femme-enfant parade presque nue) surréalistes.

Ce qui fait la spécificité de Prime Cut, c’est cette obsession de prendre à contre-pied les clichés habituels du film de genre : rien n’est par exemple fait pour rendre le mutique Devlin sympathique ; duo terrible aux relations masochistes ambiguës, Mary Ann et son frère ne pourraient être plus dissemblables physiquement, et pourtant rien ne nous est expliqué sur leur passé, ou la naissance de leur empire criminel. Carnage (titre français un peu abusif, à ne pas confondre avec le slasher du même nom) raconte son histoire ainsi, en creux, presque avec détachement : au bout du compte, seule importe cette confrontation Devlin/Mary Ann que l’on devine inévitable dès leur première rencontre. Rétrospectivement, on pense à un Witness inversé, où les vrais méchants seraient dans la ferme, et les « gentils » en route pour les éradiquer. Le terme n’est pas vain : le finale démarre par un plan fabuleux d’orage déversant ses éclairs sur les champs, accentuant la dimension fantastique de cette vendetta préparée par Marvin. Et que dire de cette scène iconique où un fils de paysan visiblement attardé se met au volant d’une moissonneuse-batteuse pour tenter de découper Marvin et Spacek en rondelles…

En sortant Prime Cut dans un DVD soigné, Carlotta permet de mettre en lumière cette pièce charnière des années 70, au carrefour de la série B à l’ancienne façon Don Siegel, du film d’exploitation (qui annonce dans ses excès graphiques la vague horrifique de l’après Massacre à la tronçonneuse) et de la réflexion, typique du Nouvel Hollywood, sur l’Amérique et ses mythes. L’œuvre a ses défauts (le besoin forcené de chercher l’incongru partout peut parfois se résumer à une véritable incompréhension – cf. cette attaque sauvage…à la saucisse ?), mais se révèle au bout du compte fascinante, et importante pour saisir les changements qui s’opéraient à cette époque dans toutes les strates du cinéma américain.


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