Adaptation du Salomé (1891) d’Oscar Wilde qu’on aurait transposé sur Hollywood Boulevard, il raconte l’amour impossible entre une jeune coiffeuse paumée et un homme tout de blanc vêtu qui passe ses journées à prêcher la parole de Dieu juché sur une caisse en plastique. Elle, c’est Nina Brosh, merveilleuse poupée west coast en perdition, jamais vue ailleurs si ce n’est dans le court métrage The Ice People (Susanne Oberbeck, 2000) ; lui, Vincent Gallo, qu’on a vu partout depuis, surtout dans ses propres films (Buffalo 66, 1998 et The Brown Bunny, 2003 en tête), et dont on apprécie le magnétisme. Sally tombe amoureuse de lui instantanément, comme touchée par la grâce (le cadre s’inonde de lumière précisément à cet instant-là, l’une des nombreuses symboliques stylistiques du film) ; on ne connaît pas son nom, elle non plus. Il résiste, a renoncé il y a fort longtemps aux tentations de la chair. Elle a des apparitions, rêves éveillés qui la voient coucher avec lui ; lui s’imagine plutôt dans un cadre biblique. Autour d’eux, un patron d’épicerie qui ne croit pas mais aime qu’on le bénisse, les nourrit à l’œil ; une concierge d’immeuble (mais serait-ce un homme?) qui raconte leur histoire de son point de vue.
Johnny 316 est entièrement ainsi, bâti autour de pistes de narration plus que d’un récit à proprement parler, s’appréhende par là où on veut bien le prendre. La symbolique est souvent lourdement appuyée (Gallo survole la ville, bras en croix ; l’écran se colore en blanc) : ce pourrait être agaçant, c’est en fait une vraie identité qui se dégage d’un film plus photographique et documenté qu’il n’y paraît d’abord. Ifergan privilégie les plans (tantôt fixes, tantôt aériens) d’une ville qui couve davantage que ce qu’elle donne à voir, où églises et sex shops jouent à touche-touche, où les touristes attirés par les lumières du Kodak Theater côtoient les macs et les putes violentées. Sous ses atours sacrés, la cité est crade et blâfarde ; les néons n’éclairent qu’à moitié les bas-fonds d’un quartier où tout se cache. Los Angeles se révèle la nuit, et ce qu’elle fait éclore est tour à tour angoissant, mystique et inattendu. C’est au cours du tournage de Johnny 316 qu’Erick Ifergan a eu l’idée de sa série de photos American Nights : son film, en plus d’offrir une réflexion sur les croyances de la « cité des rêves » (l’appellation de L.A. est ici largement mise en scène), donne surtout envie de découvrir son œuvre photographique.
Johnny 316 d’Erick Ifergan – DVD édité par KMBO – Disponible depuis le 4 décembre 2012.