DVD « Johnny 316 »

Article écrit par

Sortie en DVD d´une rareté du cinéma indie américain, avec Vincent Gallo.

C’est l’histoire d’un film oublié du cinéma indépendant américain. En 1998, le Français Erick Ifergan, cinéaste-photographe installé à Los Angeles, réalise à compte d’auteur Johnny 316 (Hollywood Salome en V.O.). Montré dans une première version, cette même année, au New York Underground Film Festival, son premier long métrage tombe ensuite aux oubliettes, puisque Ifergan ne peut en achever la post-production faute de financement. En 2006, il opère de nouvelles prises de vues. En 2012, l’argent tombe, le film peut être achevé. Aujourd’hui, Johnny 316 sort en DVD aux Éditions KMBO. L’objet intrigue, fait partie de ces curiosités de cinéphile qu’on aime découvrir par hasard, au détour des rééditions. Il arrive déjà longtemps après le début de carrière d’Erick Ifergan, réputé depuis les années 80 aux États-Unis pour son travail en tant que metteur en scène de films publicitaires. Johnny 316 est donc un travail personnel, mené en parallèle de ses activités de photographe (on lui doit une exposition de clichés nocturnes de L.A., American Nights, montrée notamment à Moscou et La Défense) et de pubeux.

Adaptation du Salomé (1891) d’Oscar Wilde qu’on aurait transposé sur Hollywood Boulevard, il raconte l’amour impossible entre une jeune coiffeuse paumée et un homme tout de blanc vêtu qui passe ses journées à prêcher la parole de Dieu juché sur une caisse en plastique. Elle, c’est Nina Brosh, merveilleuse poupée west coast en perdition, jamais vue ailleurs si ce n’est dans le court métrage The Ice People (Susanne Oberbeck, 2000) ; lui, Vincent Gallo, qu’on a vu partout depuis, surtout dans ses propres films (Buffalo 66, 1998 et The Brown Bunny, 2003 en tête), et dont on apprécie le magnétisme. Sally tombe amoureuse de lui instantanément, comme touchée par la grâce (le cadre s’inonde de lumière précisément à cet instant-là, l’une des nombreuses symboliques stylistiques du film) ; on ne connaît pas son nom, elle non plus. Il résiste, a renoncé il y a fort longtemps aux tentations de la chair. Elle a des apparitions, rêves éveillés qui la voient coucher avec lui ; lui s’imagine plutôt dans un cadre biblique. Autour d’eux, un patron d’épicerie qui ne croit pas mais aime qu’on le bénisse, les nourrit à l’œil ; une concierge d’immeuble (mais serait-ce un homme?) qui raconte leur histoire de son point de vue.

 


Johnny 316
est entièrement ainsi, bâti autour de pistes de narration plus que d’un récit à proprement parler, s’appréhende par là où on veut bien le prendre. La symbolique est souvent lourdement appuyée (Gallo survole la ville, bras en croix ; l’écran se colore en blanc) : ce pourrait être agaçant, c’est en fait une vraie identité qui se dégage d’un film plus photographique et documenté qu’il n’y paraît d’abord. Ifergan privilégie les plans (tantôt fixes, tantôt aériens) d’une ville qui couve davantage que ce qu’elle donne à voir, où églises et sex shops jouent à touche-touche, où les touristes attirés par les lumières du Kodak Theater côtoient les macs et les putes violentées. Sous ses atours sacrés, la cité est crade et blâfarde ; les néons n’éclairent qu’à moitié les bas-fonds d’un quartier où tout se cache. Los Angeles se révèle la nuit, et ce qu’elle fait éclore est tour à tour angoissant, mystique et inattendu. C’est au cours du tournage de Johnny 316 qu’Erick Ifergan a eu l’idée de sa série de photos American Nights : son film, en plus d’offrir une réflexion sur les croyances de la « cité des rêves » (l’appellation de L.A. est ici largement mise en scène), donne surtout envie de découvrir son œuvre photographique.

Johnny 316 d’Erick Ifergan – DVD édité par KMBO – Disponible depuis le 4 décembre 2012.

Titre original : Hollywood Salome

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 77 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…