Le personnage de fliquette alcoolique auquel prête ses traits une Catherine Frot rarement aussi terrienne est ainsi à la fois vecteur de la ligne plus ou moins claire de son enquête – impliquant le suicide d’une jeune sans papier, l’étrange récupération du fils de cette dernière par une voisine farouche, la traque sans raison explicite de cet enfant – et d’une assez subtile déviation. Suivant durant la première demi-heure le protocole de reconduite à la frontière des divers sans papiers récupérés par sa brigade (ce qu’elle qualifiera plus tard elle-même de « sale boulot », laissant par là entendre – de manière peut-être trop évidente – la parole d’un cinéaste plus distancié qu’il n’y paraît), Fabienne Bourrier, vieille fille à la mine toujours sinistre, accompagnant accessoirement sa mère dans ses derniers jours, en se déplaçant, allant de sa propre initiative à la rencontre d’un monde et un peuple jusqu’ici exclusivement surveillés, devient porteuse d’une nouvelle parole, un autre regard que ceux de sa fonction.
L’enquête, si elle suit insensiblement son cours, laisse alors place à l’ouverture progressive d’une femme jusque-là juste efficace au pas de côté, l’alternative, le bénéfice du doute. Cadrant toujours très serré, ne sacrifiant aucunement la tension et l’efficacité constitutives du film noir (magnifique emploi de l’obscurité dans les scènes d’action finales) au seul dessin d’un cheminement psychologique, Alcala joue donc avec talent du voisinage presque logique entre polar et social, documentaire et suspense. Si coup d’éclat il y a, ce n’est pas tant celui d’un personnage passant de l’académisme à l’héroïsme que d’une aptitude toute singulière du cinéaste à faire de l’ancrage d’une poignée d’individus dans un quotidien dénué d’horizon la matrice d’un constant possible d’aération, de bifurcation. Une virtuosité à la lumière du commun, autrement dit.
Bonus
Un bel entretien croisé d’une vingtaine de minutes entre Alcala et Catherine Frot, où, au fil de la conversation, se posent avec pertinence les questions des influences possibles (Eastwood pour la rédemption d’un personnage négatif, Indignez vous!, le best-seller de Stephane Hessel, pour le caractère politique et libératoire de la sortie de route de Fabienne) et plus évidentes (Pialat, le Loach noir de Ladybird…) du cinéaste et son actrice.
DVD édité chez Ad Vitam
