DVD « Coup d’éclat » de José Alcala

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Un passionnant polar « social », par le réalisateur du beau « Alex » (2005).

Étrangement manqué ici lors de sa sortie salle en avril, le deuxième long métrage de José Alcala – auteur en 2005 d’Alex, un saisissant drame « social » – est pourtant l’un des films français vraiment importants de cette année. S’essayant au polar, le cinéaste n’oublie pas moins ce qui depuis ses premiers courts métrages et documentaires ne cesse de lui importer : non le constat passif d’une certaine « réalité » sociale, mais son incarnation, la réalité de ce qu’est vivre dans ces conditions-là, en ces lieux-là, avec ces moyens-là. Peu de cinéastes français aspirant au genre semblent à ce point fixés quant aux lieux (en l’occurrence Sète, ville décidément très cinégénique depuis Kechiche), mais surtout aux milieux de leur fiction.

Le personnage de fliquette alcoolique auquel prête ses traits une Catherine Frot rarement aussi terrienne est ainsi à la fois vecteur de la ligne plus ou moins claire de son enquête – impliquant le suicide d’une jeune sans papier, l’étrange récupération du fils de cette dernière par une voisine farouche, la traque sans raison explicite de cet enfant – et d’une assez subtile déviation. Suivant durant la première demi-heure le protocole de reconduite à la frontière des divers sans papiers récupérés par sa brigade (ce qu’elle qualifiera plus tard elle-même de « sale boulot », laissant par là entendre – de manière peut-être trop évidente – la parole d’un cinéaste plus distancié qu’il n’y paraît), Fabienne Bourrier, vieille fille à la mine toujours sinistre, accompagnant accessoirement sa mère dans ses derniers jours, en se déplaçant, allant de sa propre initiative à la rencontre d’un monde et un peuple jusqu’ici exclusivement surveillés, devient porteuse d’une nouvelle parole, un autre regard que ceux de sa fonction.

L’enquête, si elle suit insensiblement son cours, laisse alors place à l’ouverture progressive d’une femme jusque-là juste efficace au pas de côté, l’alternative, le bénéfice du doute. Cadrant toujours très serré, ne sacrifiant aucunement la tension et l’efficacité constitutives du film noir (magnifique emploi de l’obscurité dans les scènes d’action finales) au seul dessin d’un cheminement psychologique, Alcala joue donc avec talent du voisinage presque logique entre polar et social, documentaire et suspense. Si coup d’éclat il y a, ce n’est pas tant celui d’un personnage passant de l’académisme à l’héroïsme que d’une aptitude toute singulière du cinéaste à faire de l’ancrage d’une poignée d’individus dans un quotidien dénué d’horizon la matrice d’un constant possible d’aération, de bifurcation. Une virtuosité à la lumière du commun, autrement dit.

Bonus

Deux courts métrages de José Alcala, Les Gagne-petit (1998) et Frigo (2006), accompagnant Marie Raynal, son actrice fétiche, dans deux micro-fictions ouvrant à ses personnages les perspectives faussement opposées d’une normalisation et une marginalisation. Entrer ou sortir du cadre (social/filmique) ? Telles sont en définitive les préoccupations du cinéaste comme de ses héros ordinaires.

Un bel entretien croisé d’une vingtaine de minutes entre Alcala et Catherine Frot, où, au fil de la conversation, se posent avec pertinence les questions des influences possibles (Eastwood pour la rédemption d’un personnage négatif, Indignez vous!, le best-seller de Stephane Hessel, pour le caractère politique et libératoire de la sortie de route de Fabienne) et plus évidentes (Pialat, le Loach noir de Ladybird…) du cinéaste et son actrice.

DVD édité chez Ad Vitam


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