Minotaure de rien, minotaure de peu. » (1)
Des premières images de Bullhead, on retient un plan au rythme lent et continu. Un homme, que l’on identifie encore seulement par son attitude, avance d’un pas dont la lourdeur ralentit tout autour de lui. La caméra garde ses distances, elle l’observe sans le brusquer. Matthias Schoenaerts semble prêt à tout abattre sur son passage, pareil à un taureau entrant dans l’arène. Dès le début, son corps envahit l’écran et le cadre. Sa présentation mutique donne à cette silhouette une stature massive que le propos du film adoucira sans pour autant l’abolir.
Puis un gros plan du visage de Jacky, ou de Matthias, peu importe tant l’un et l’autre fusionnent et pénètrent ensemble le spectateur. Cette figure, plongée dans un clair-obscur éblouissant nous révèle une véritable gueule animale. Sa tronche est marquée. Son profil, cabossé. L’homme, ou l’animal (comme l’ombre et la lumière, nous ne percevons pas tout), affiche une mine décontenancée, de graves cernes ornant un regard défoncé. Ses yeux semblent fixer la caméra mais, pourtant, ne nous regardent pas. Cet état de semi-léthargie, il le doit à sa terrible came : la bête n’est pas née d’hier. Jacky s’injecte des hormones jusqu’à l’excès. Derrière sa moue renfrognée, l’animal rumine. La caméra le fixe comme un fauve en cage.
Des Flamands qui ne voient pas la vie en rose.
Les bonus proposés dans cette édition DVD satisferont les spectateurs désireux d’en connaître plus sur la carrière de Michaël R. Roskam. Nous est ainsi donnée la chance de découvrir deux de ses courts métrages : Carlo (2004) et The One Thing To Do (2005). Ce dernier film nous fait découvrir Matthias Shoenaerts et met en exergue l’atmosphère sombre et masculine dans laquelle vont baigner les films de Roskam.
Court-métrage d’une vingtaine de minutes, The One Thing To Do met en scène deux Flamands débarquant sur le sol corse, en quête d’un certain Ernest Carpentier, qui ne sait pas lui-même qu’il est activement recherché, et même cité à comparaître pour crimes de guerre. Comme souvent chez Roskam, la caméra, à l’épaule, se fait tremblante, tournant autour des acteurs en des flous déséquilibrés et des ralentis nauséeux. L’atmosphère est pesante et l’espace, par des plans toujours plus serrés, nous rend claustrophobes.
Matthias Shoenaerts dans The One Thing To Do
Carlo est une manière de découvrir l’humour dont sait faire preuve Roskam à l’égard de ses personnages, en les traitant jusqu’à l’absurde. En situant son histoire entre Saint-Trond et Liège, il déroule le tapis rouge à la fameuse animosité existant entre Flamands et Wallons. Comme dans ses autres films, Roskam n’y va pas de main morte avec tous ces hommes obnubilés par leurs problèmes d’ego et de virilité. En donnant à ces provinciaux flamands un caractère de mafieux, le cinéaste a, dès ses débuts, rendu son cinéma original et singulier.
En 2012, Michaël R. Roskam s’est vu confier la réalisation de The Tiger, adaptation du roman éponyme de John Vaillant, produite par Brad Pitt et Darren Aronofsky. Reste à espérer que le cinéaste ne perde pas de vue son excentricité flamande. Il ne serait pas le premier à se vendre.
Dans les bonus, également, un entretien filmé avec Matthias Shoenaerts.
(1) Robert Desnos, Minotaure, dans Destinée arbitraire, 1975.