Ça commence par un casse. Au petit matin, avant même son ouverture, deux hommes armés entrent dans une banque. Ils s’occupent du flic à l’entrée et une fois hors d’état de nuire, l’un des deux s’assoie dans un fauteuil et braque la porte avec son arme. Ainsi installé, il attend les premiers clients mais surtout le directeur qui leur ouvrira le coffre. Cet homme sûr de lui au visage fermé, Harry Wheeler (Paul Richards), est la tête pensante de la bande. Tout s’est déroulé selon ses plans et pour lui comme pour le spectateur, il ne reste plus qu’à attendre. Le générique peut alors défiler et le titre original du film apparaître: Pushover – littéralement, un jeu d’enfant.
En effet tout est là, dans un magnifique noir et blanc glacé et humide : des braqueurs de banques, un policier qui veut devenir un héros, un sac de billets, un tueur de flic… On n’est pas très loin de la litanie de Jean Seberg, six ans plus tard, présentant dans la bande annonce d’A bout de souffle, « la jolie fille ; le vilain garçon ; le revolver ; le voleur d’auto ; la police ». Richard Quine choisit de nous mettre tout de suite suite face à ces figures quitte à les détruire par la suite ou à les transformer. Ainsi, très tôt, on se désintéressera du sort d’Harry Wheeler et mis à part une courte scène en fin de film, on ne le reverra plus. Les hôtels minables, les planques durant des nuits entières dans des voitures enfumées, des coups de revolver dans le dos, tout est bien là. Mais Richard Quine, après avoir fait tomber un voile noir sur son film, va s’intéresser à une autre figure, celle à laquelle on ne peut pas échapper : la femme fatale.
La machine infernale
Chargé de retrouver la trace d’Harry Wheeler, l’officier de police Paul Sheridan (Fred MacMurray) ne trouve à la place que sa petite amie et tombe amoureux d’elle. Kim Novak dans son premier rôle fait des merveilles de ce personnage de jeune femme forte, Lona McLane et irradie littéralement le film de sa présence. On en oublie la noirceur des lieux, de la nuit presque continue qui les habite et on se trouve surpris de la chaleur qui se dégage de ce film. Richard Quine y est pour beaucoup dans la mise en valeur de chaque personnage, l’écriture également, ne laissant aucun visage, aucune silhouette dans l’ombre, mais le plaisir de jouer de Kim Novak emporte tout sur son passage. Quand Lona tombe amoureuse de Paul, les deux jeunes gens décident de voler l’argent du casse initial pour partir ensemble. Le flic devient ripoux, la copine du voleur tombe sous le charme et Richard Quine continue de nourrir les codes du genre.
Si le cinéaste donne à ses personnages une vraie humanité – le couple en devenir que forment Ann et Rick est très touchant -, il ne peut rien face au destin, face à cette machine qui régit tout ces personnages et les broie. L’histoire entre Paul et Lona n’a ainsi aucune chance d’exister. Paul finira comme Jean-Paul Belmondo dans A bout de Souffle, le nez sur l’asphalte, alors qu’il était sur le point de s’enfuir avec l’argent et son amour. Lona pleure mais pas tant que ça. Comme nous, elle se doutait bien qu’il n’y aurait pu avoir d’autre fin à leur histoire. Paul commence à comprendre et dans un ultime souffle, s’interroge sur sa condition même de personnage : « We really didn’t need that money, did we ? ». Richard Quine se dépêche de terminer son film et dans un dernier travelling arrière, laisse l’homme là, sur le sol. Il ne serait pas impossible qu’une fois l’écran noir tombé, Paul ait essayé de se relever.