Diamantino

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Qu’est-ce que cet objet étrange ? James Bond ? Une adaptation de Candide ? Une parodie grotesque ? Une fable sur le monde contemporain ? « Diamantino » est inclassable, tout comme son héros ; un film dont on a besoin, qui stimule l’imaginaire et donne à penser, sur le cinéma comme le monde.

Il était une fois Diamantino…

Diamantino n’est pas un film subversif et c’est tant mieux. Si ce terme conviendrait par exemple au cinéma de Bertrand Mandico, pour son travail sur le genre, le monstre, l’esthétique cosmique, il demeure ambigu et dangereux car, en l’employant, ou pire en le revendiquant, la forte probabilité d’être déçu. Diamantino est un film audacieux dirons-nous ; dans son emploi de la figure du métrosexuel, qu’il reprend ici de façon détournée. Diamantino est un hermaphrodite : ultra musclé mais jamais sans son gloss. Les codes publicitaires sexistes classiques ultra genrés sont mélangés, associés, moqués, servant à la fois une esthétique queer du travestissement, mais participant d’une mise en scène du dévoilement. Ses influences rappellent les œuvres de Pierre et Gilles, comme leur Madone au cœur blessé où Lio se retrouve en pietà moderne ; c’est à la fois une célébration des idoles et un pied-de-nez à la bienséance catholique. Diamantino aussi est une icône, à la fois moquée et admirée, incarnée avec génie, amour et dérision par Carloto Cotta.

Le monstre c’est avant tout celui que l’on montre, c’est un être polymorphe qui ne correspond pas à un genre précis ; il est plus qu’une seule chose, il déborde, voire il gêne. Diamantino est un enfant dans un corps d’adulte, c’est un être hyper : hyper musclé, hyper doué, hyper hétéronormé, hyper publicitaire – exhibant constamment son slip Calvin Klein et affichant un sourire ridicule à demi charmant. Face à cela, son sous-développement est criant – il est stupide, naïf et vierge. Abrantes et Schmidt jouent à faire de Diamantino un pot-pourri de plusieurs figures contradictoires du conte traditionnel, à savoir le prince charmant et la jeune pucelle effarouchée. Du côté des personnages secondaires, nous avons le père-coach aimant qui décède au bout de quelques minutes, comme la mère de la plupart des héroïnes Disney. Et les deux marâtres qu’il a pour sœurs, exquises dans leur gémellité et leur cabotinage, rappellent Anastasie et Javote, les deux sœurs teignes qui humilient Cendrillon. Ici, les femmes sont toutes puissantes, machiavéliques, et pour des raisons diverses, veulent le corps de ce Diamantino-pantin. Pas comme objet sexuel, plutôt comme source de pouvoir ; d’ailleurs, elles vont jusqu’à accepter qu’il meure. Diamantino est un médium, ce n’est pas pour son corps mais par son corps que ces femmes vivent. Jusqu’à ce que le héros se métamorphose et que des seins lui poussent. De la confusion des genres naît un jeu ; une femme (Aisha) joue à être un jeune adolescent et par ce processus, révèle Diamantino – constamment soupçonné dans sa virilité et victime d’homophobie. Lui, l’homme qui a le moins le droit d’être femme le devient ; mais pas totalement, car les cinéastes refusent la dichotomie dans le genre et le sexe. Diamantino garde ses pectoraux, symbole de virilité, mais il conserve également sa poitrine féminine ; sa transition est un état, pas un passage.

 

 

Un voyage intime hors du temps :

La façon dont Abrantes et Schmidt filment les lieux est tout à fait singulière, car ils choisissent des architectures massives et connues, faisant partie d’une imagerie collective. Le yacht est un carrosse, la maison est un palais princier, un immense huis clos. Ces lieux bling-bling sont raccords avec l’époque et le milieu dépeints, scintillants, brillants, glossy, mais c’est aussi une porte vers l’enchantement. Foucault parlait d’hétérotopies pour décrire ces lieux mythiques qui concentrent en eux plusieurs couches de temps ; le conte nous en fournit. Les cinéastes nous enferment dans ces lieux, même le Portugal qui est un royaume clos ; la mondialisation des espaces a des limites, et le monde « extérieur », interconnecté et géolocalisé, n’est visible que sur des écrans – celui qui retransmet la Coupe du Monde, celui du drone de l’agent double Aisha ou encore l’interview télé larmoyante de Diamantino… Cette star déconnectée, qui veut un enfant comme on veut un jouet, se reconnecte à son corps et son cœur lorsqu’il n’y plus moyen de le voir. L’île sublime sur laquelle s’exilent les deux amants à la fin du film est un lieu hors du temps, introuvable, non-identifiable, totalement libre ; le bonheur y a sa place. Diamantino est un grand film romantique, qui tient à la sincérité du jeu de ses comédiens. Son héros est un grand naïf, grand idiot, au sens dostoïevskien du terme : incapable de mentir car il n’a pas encore été corrompu par le monde des hommes, le mal ou l’argent. « On est heureux, voilà » clôt le film : pas besoin de « beaucoup d’enfants » pour être heureux. On sort de la structure patriarcale systématique, on est tout simplement dans le bonheur. Ici, le naïf a plus à nous apprendre que le moraliste.

 

 

Il faut cultiver notre terrain de foot ?

Le film s’ouvre sur un footballeur courant après des chiens et des nuages roses sous les cris d’une masse en délire. L’oeuvre est lancée, tant épique que romantique. On alterne entre le collectif d’un côté, dans des plans au drone, une saturation de l’image et du son ; et l’intime, avec de gros plans tremblants qui voient tout, et une texture d’image sensible, fragile, que le grain de la pellicule rend presque charnelle. Diamantino est déceptif, il se révèle riche, romanesque, en déconstruisant la notion d’idole et en achevant la construction de deux héros – son personnage éponyme et Aisha. C’est un conte magnifique riche de beautés, comme cette séquence de danse sur le yacht qui arrive « comme ça » et qui s’enfuit aussitôt, comme un instant que nul ne peut voler, et qu’on voudrait éternel.

« Tous les artistes sont morts, sauf toi, Diamantino. » Le traitement artistique et étrange qui est fait du football l’élève comme objet d’art, créant cet objet hybride qu’est Diamantino : un con, sosie-ersatz d’un certain Ronaldo, que l’on voudrait ne pas voir comme un artiste, mais doté d’une imagination incroyable, une sensibilité, un instinct de joueur qu’on qualifie même de génie indécelable. Le génie n’appartient pas aux bourgeois, quoiqu’en pense Meryl Streep qui avait fortement méprisé le football et ce qu’il représente lors des Golden Globes qui honoraient son travail en 2017.

Diamantino questionne donc le contemporain par des figures et des formes ancestrales atemporelles et atopiques comme le conte, que ses deux créateurs confrontent au monde actuel et à ses modes de représentation, d’échange, de communication, mais aussi ses inquiétudes et ses pratiques.

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Durée : 92 mn


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