Country Teacher

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Pour son troisième film, le tchèque Bohdan Sláma retrouve son acteur fétiche Pavel Liska, et questionne avec finesse les rapports amoureux dans un drame bucolique intimiste, sensible et souvent émouvant.

Dans la famille des réalisateurs venus d’ailleurs, et de préférence des pays dont on connaît peu l’œuvre cinématographique, Bohdan Sláma fait partie de ceux qu’on aimerait bien voir un peu plus souvent en haut de l’affiche. Parce que son précédent film, Something like happiness, dépeignait avec tendresse la vie d’un groupe d’amis dans la Bohème post-communiste ; parce que son cinéma est humaniste juste comme il faut ; et parce qu’il cite volontiers comme influence Kusturica ou Kaurismaki, dont on retrouve dans Country teacher, du premier un certain état de la vie en Europe Centrale, et du second les personnages lunaires, un peu en marge de la société. De solides références, donc, mais qui ne sauraient prendre le pas sur le style déjà bien prononcé qu’est celui de Sláma, quelque part entre désenchantement latent et optimisme forcené.

Petr, professeur de biologie dans un lycée de Prague, quitte brusquement la capitale pour venir enseigner en école primaire à la campagne. Jusque-là, rien de très déroutant. Sauf que Petr est homosexuel – ce qui ne passe pas nécessairement très bien dans les pâturages tchèques – et qu’il tombe amoureux du fils – forcément hétéro – d’une villageoise, elle-même très entichée du professeur. Vous avez dit triangle amoureux ? Oui, si ce n’était que tous ces sentiments vont à sens unique, jusqu’au point fatidique de non-retour. Il y a une beauté singulière dans la manière dont Bohdan Sláma met face à face tragédie des situations et sérénité de la campagne, étirée en de longs plans séquences. Si le temps est toujours clément, dans Country teacher, les amours, elles, sont plus diluviennes. Et pourtant, la caméra du cinéaste parvient à capter plus de tendresse que d’affliction : un champ brûlé par le soleil et balayé par le vent, une main tendue vers l’autre, la gouaillerie des villageois… Le cinéaste laisse l’espace nécessaire au film pour se dérouler, à l’histoire pour s’installer, et se tient à juste distance des personnages, laissant le temps de les connaître, et de les apprivoiser en même temps qu’ils s’apprivoisent eux-mêmes.

    

Car la beauté réside surtout là, dans une certaine peinture réaliste, presque naturaliste, des rapports humains et de la vie loin des lumières de la ville. D’une part, la marche du monde dans les campagnes, où le temps semble suspendu, entre lourdes tâches quotidiennes et respect des traditions ; d’autre part, la confrontation entre la résignation passive de Petr, qui ne croit plus en l’amour, et la force combattive de Marie, vieille petite fille qui refuse de se laisser aller à la fatalité. Zuzana Bydzovská, grande comédienne de théâtre dans son pays, livre une prestation lumineuse, toute en bouleversements intérieurs et générosité de cœur. Pavel Liska, star du cinéma tchèque dont Bohdan Sláma semble ne plus vouloir se défaire, lui oppose sa timidité maladive et sa perpétuelle quête d’identité. Et quand le fils de Maria lui demande comment elle peut pardonner à Petr après que son désir éperdu d’affection l’a conduit à un acte fatidique, elle lui répond : « Peut-être que l’on a tous besoin de quelqu’un ».

C’est peut-être à cela que tient Country Teacher : plus qu’un film social sur l’homosexualité ou la solitude, plus qu’un réquisitoire contre l’intolérance, c’est une œuvre sur la faculté de pardon, pour soi et pour l’autre, que propose Bohdan Sláma, laissant ouvert à l’infini le champ des possibles. On imagine aisément combien il croit en les conséquences positives que pourront avoir ces relations, tissées péniblement mais fermement entre les protagonistes, sur leurs histoires futures. La lumière qui baigne les derniers plans en atteste : la maison familiale devient endroit sacré, l’étable où les vaches mettent bas la promesse de lendemains meilleurs, les empilements de meules de foin des lieux de plénitude. Et sort le film des voies dramatiques qu’il aurait pu emprunter, en le portant vers des rivages plus sereins. Qu’une œuvre soit aussi sensible sans faire de chantage à l’émotion, c’est assez rare pour être souligné.

Titre original : Venkovsk´y Ucitel

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Durée : 117 mn


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