Corporate

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A l’occasion de la sortie en DVD, retour critique sur « Corporate »

Fictions d’entreprise

Corporate, le titre du premier long métrage de Nicolas Silhol est précis et d’un évocateur qui permet d’ancrer directement et de manière pragmatique l’œuvre dans son sujet (sans le détour poétique qu’avait fait Jean-Marc Moutout en nommant son film Violence des échanges en milieu tempéré, 2011) : le milieu de l’entreprise. Un objet d’étude et de mise en scène que l’on voit plus régulièrement dans la production du cinéma français depuis quelques années (De bon matin, du même Jean-Marc Moutout, en 2011 et plus récemment le très discuté La Loi du marché de Stéphane Brizé, en 2015). Ces trois films cités tendent, chacun à leur façon, à focaliser sur les défaillances, aux conséquences parfois terribles, de certains systèmes et rôles managériaux inhérents à l’entreprise. Aucun d’entre eux, à l’exception peut-être de Violence des échanges en milieu tempéré, n’arrivait véritablement à dépasser le stade d’un simple constat ou l’effet d’une décharge mortifère sans retombée. Ce n’est pas plus le cas avec Corporate qui, partant d’une affaire similaire à la vague de suicides chez France Télécom, peine à établir la proposition d’un regard sur le sujet. Ce long métrage n’est cependant pas exempt d’un portrait intéressant bien qu’un peu réduit du personnage principal du film.
 

Drame non vu de l’intérieur

Le récit suit Emilie Tesson-Hansen (Céline Sallette) gestionnaire des ressources humaines confrontée au suicide, dans la cour de leur entreprise, d’un employé dont elle était la responsable directe et dont le rôle consistait à l’encourager à démissionner sans avoir à le licencier. Refusant d’endosser elle seule la responsabilité de ce suicide, elle décide progressivement de collaborer avec l’inspectrice du travail en charge de l’enquête (Violaine Fumeau) afin de se sortir de cette situation. La finesse de la mise en scène de cette trajectoire tient à sa capacité à éviter l’écueil du manichéisme et du tranché par la culpabilité ou la « rédemption » du personnage. Sinueuse et pernicieuse, Emilie apparaît d’abord comme celle qui veut en priorité sauver sa peau. Les plans rapprochés sur le visage captivant de Céline Sallette, aux expressions ambivalentes, recueillent cette porosité émotionnelle complexe qu’expérimente cette femme d’affaires redoutable. Une tragédie « non vue » de l’intérieur, il y a quelque chose de cet ordre à suivre la présence d’Emilie dans cette affaire. C’est dans sa première partie que le long métrage trouve sa plus importante subtilité : la question de la responsabilité individuelle (bien qu’au sein d’une responsabilité plus systémique) semble travailler Nicolas Silhol, s’interroge dans cet accès empêché à l’intériorité d’Emilie. Finesse qui s’atténue au fur et à mesure de l’éclaircissement narratif et de la confrontation de la jeune femme aux autres responsables de ce drame (parmi lesquels, le responsable des ressources humaines, interprété par le féroce Lambert Wilson).
 


Au-delà de la constatation ?

Sans organiser sa réalisation dans une scénographie de locaux d’entreprise aux salles de réunion blafardes, Nicolas Silhol enferme ses décors, organise des limites par le biais de pièces vitrées plus ou moins franchissables. Les lieux aussi se trouvent « corporate », saisis et réglés, les plans vêtus d’une transparence qui ne cille pas, parfois télévisuelle. On peut se questionner quant à ces choix esthétiques de mise en scène, qui contribuent, par leur réalisme, à manquer la possibilité d’une transfiguration du sujet dont s’empare le cinéaste. Au-delà de l’évolution individuelle filmée, la présence d’enjeux de représentation par l’image pour nourrir son sujet manquent à Corporate, afin de le sortir de sa condition de film qui fait constat, c’est le cas de quelques séquences autour d’Emilie Tesson-Hansen.

Titre original : Corporate

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Durée : 95 mn


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