Lennon s’en va-t-en guerre
La réussite principale de Comment j’ai gagné la guerre se situe sans conteste dans l’écriture des personnages, la capacité de Richard Lester, aidé par son scénariste Charles Wood, à nous faire différencier chacun d’eux, leur donner un caractère, une vie propre. De Goodbody (Michael Crawford), lieutenant inexpérimenté haï par ses hommes comme un premier de la classe au colonel Grapple (Michael Hordern), revenant inlassablement dans le récit sans qu’on l’y invite, le cinéaste bâtit essentiellement son film autour des personnages. Aucune psychologie, mais un portrait très réussi de leur quotidien et leur vie en communauté (la façon dont ils vont se liguer jour après jour contre leur chef est l’une des plus belles idées du film). En les enfermant littéralement dans le désert égyptien, les faisant tourner en rond, les laissant marcher au milieu de mines ou à quelques mètres de camps allemands, le réalisateur américain va rendre son film de plus en plus fou, les réactions de ses soldats de plus en plus incohérentes : Goodbody demandant à ses hommes de faire des pompes dans un champ de mines ou l’un d’eux, tournant son regard vers nous et demandant à la caméra de «(..) se tirer ».
Jouer ou faire la guerre?
A plusieurs instants, lors des quelques batailles parsemées dans le film, Lester intègre des images d’archives aux scènes qu’il a filmées. Le débarquement, un ciel noir de parachutistes… Comme le penchant réaliste de ce qui se joue réellement à l’écran. A vrai dire, rien de très important pour le récit, nos « héros » continuant à faire n’importe quoi dans le désert, sauf se battre bien entendu. Pourtant, cela devient gênant dans la dernière demi-heure, quand, de retour en Europe, de la couleur nous passons au noir et blanc. La mort théâtrale du personnage de Lennon enfonçant le clou. Où veut en venir le cinéaste? Aussi rouge que soit le faux sang, on ne tue personne avec des armes en plastique. Richard Lester ne cherche jamais à faire oublier que tout est faux, mais va quand même, mangeant à tous les râteliers, essayer de venir chercher ses spectateurs sur le terrain de l’émotion. Quoi de mieux pour cela que d’utiliser la star Lennon les tripes à l’air ou bien le noir et blanc, qui comme chacun sait rend chaque chose bien plus sérieuse.
Le grand écart entre les soldats anglais filmés de façon très neutre, le thé à la main et les pieds dans le sable, et le finale très maniériste surprend énormément. Les plans, les cadres très agressifs que nous propose Lester dans les derniers instants, souvent visuellement très réussis, étant en total décalage. Sous ses atours bonhomme, Comment j’ai gagné la guerre aime à se prendre au sérieux. Mais au contraire d’Altman avec M.A.S.H., Lester semble n’avoir aucune compassion, aucun amour pour ses personnages qui, s’ils font partie intégrante des ressorts comiques du film, paraissent totalement vides. Peu concerné par leur sort, le spectateur ne peut alors suivre le réalisateur sur ce terrain très premier degré, et regarde la dernière partie de Comment j’ai gagné la guerre très loin de ces anti-héros qui l’avaient fait rire une heure durant. Les observant même, atterré, mourir les uns après les autres dans le gris d’une guerre jusqu’ici couleur de bac à sable. A trop faire la guerre à la guerre, Lester en a oublié de jouer. Son film y perd presque tout.