Ayant été primé cette année lors de la 74ème Berlinale, Comme Le Feu met en scène les retrouvailles entre deux vieux amis : Albert et Blake, qui ne se sont pas vus depuis trois ans. Autrefois proches en raison de leurs collaborations sur des films de fiction, Blake a désormais choisi de se retirer dans sa cabane au cœur du Québec et de se consacrer au cinéma documentaire. Albert, ses enfants et Jeff (un ami de la famille) sont ainsi invités à séjourner chez Blake mais les retrouvailles tournent rapidement à la désillusion.
Les deux hommes n’ont plus grand-chose en commun et se heurtent verbalement et parfois physiquement en ravivant l’opposition entre cinéma de fiction et documentaire, qu’ils incarnent chacun à leur manière. Albert symbolise l’imagination tandis que Blake, davantage enraciné dans le réel, représente le prosaïsme. Une ambivalence bien connue par le réalisateur, Philippe Lesage, qui a commencé sa carrière dans le documentaire avant de se tourner vers le cinéma de fiction en 2015 avec le film Les Démons.
En évoquant cette dualité et le personnage d’Albert, le documentaire La Bête lumineuse (1982) s’impose comme une citation assumée. En effet, dans le documentaire de Pierre Perrault, on découvre Albert, chasseur et poète ne s’exprimant pas comme les autres et n’arrivant pas à s’intégrer au sein du groupe. Philippe Lesage réemploie la personnalité de cet homme afin de construire son personnage (qui partage le même prénom) et va même jusqu’à recréer certaines séquences du documentaire telles que celle de la chasse à l’arc ou encore du dépeçage du lièvre, qu’Albert ne supporte pas. À mesure que le film progresse, Comme Le Feu semble transcender le simple acte de citation pour devenir une réinterprétation.
Philippe Lesage recompose brillamment le personnage d’Albert afin de revisiter l’opposition entre ces deux mondes. Il transpose cette dualité à une approche cinématographique, proposant une mise en scène reflétant cette idée. En effet, certaines scènes expérimentent une durée proche d’une réalité documentaire prenant le temps de s’installer afin de saisir la nature et les relations entre les différents personnages, on devine également pour certaines scènes quelques improvisations. En même temps, la mise en scène s’affirme fictionnelle avec la séquence surréaliste du triple rêve, faisant référence au scénario de Blake évoqué au début du film.
Jeff, l’invité, est l’observateur de ce conflit et c’est principalement par sa perspective que l’on accède à l’histoire. Néanmoins, le manque de caractérisation de ce personnage prêche au film. Qui est Jeff ? Que cherche-t-il à accomplir ? Ses motivations et ses ressentis restent flous et en suspens, ce qui complique parfois la compréhension de son attrait amoureux pour la fille d’Albert et de son positionnement au sein du conflit entre les deux hommes.
En revisitant La Bête Lumineuse, le film réussit à capter l’essence de l’original tout en lui apportant une nouvelle dimension, proposant une expérience à la fois familière et novatrice. Ainsi, Comme Le Feu a le mérite de proposer une recomposition pertinente d’un documentaire emblématique et on peut y voir en cela un geste audacieux.