Coffret Kiyoshi Kurosawa

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Arte Video édite quatre films (Door III, Loft, License to live et Doppelganger) d´un des maîtres japonais de l´horreur, mister Kurosawa, réalisateur incontournable du cinéma japonais et ses recoins.

Edition Arte Vidéo – Décembre 2007

Un monde où l’inexplicable règne en maître

Arte Video édite quatre films d’un des maîtres japonais de l’horreur, mister Kurosawa. Pas Akira, non, mais Kiyoshi, désormais devenu réalisateur incontournable pour quiconque souhaite se plonger dans le cinéma japonais et ses recoins.

Ces deux coffrets offrent quatre films du réalisateur, ce qui est loin de donner une vision exhaustive de son œuvre mais permet tout de même d’en avoir un bel aperçu. Les quatre films peuvent se séparer en deux parties, d’où les deux coffrets. Ils se retrouvent tous cependant dans un cinéma assez noir, aux couleurs relativement pâles, où les tons de gris sont nombreux et prévalent. Les couleurs vives sont bannies de l’univers de Kurosawa. Ils ont aussi en commun la mise en avant de phénomènes paranormaux. Le surnaturel est présent dans chacun d’entre eux.

Cependant, entre les fantômes et l’inexplicable, il n’y a qu’un pas qui peut parfois ressembler à un fossé.

Aussi bien dans Loft que dans Door III, le paranormal prend forme physique et se traduit par l’apparition de vrais fantômes. Comme les classiques du genre au Japon, ces derniers ont la tête tombante, les cheveux longs devant le visage et avancent sans un bruit comme si ils glissaient littéralement sur le sol. Malheureusement, là où ceci fonctionne (comme la trilogie Ring par exemple, de Hideo Nakata et Norio Tsuruta), chez Kurosawa le résultat n’est pas le même. Dans Loft, les émotions surjouées ne transmettent rien au spectateur et la caméra placée derrière les personnages promet beaucoup mais rien ne vient. Que ce soit la momie ou la revenante, personnages censés nous effrayer, elles n’apparaissent que très rarement et ne servent finalement que de faire-valoir. L’alchimie n’est pas au rendez-vous, l’angoisse non plus. Tout comme dans Door III d’ailleurs, dans lequel un homme, attirant étrangement les femmes qu’il croise, se révèle être le nid d’un parasite cherchant une femme où pondre ses œufs. Le scénario ne réussit pas à captiver le spectateur qui attend tout du long une fin qui tarde à venir et qui finalement déçoit.

En revanche, lorsque Kiyoshi Kurosawa n’intègre pas le surnaturel sous forme de fantôme, c’est un véritable plaisir. Doppelganger et License to Live sont de véritables bijoux du maître japonais, à l’image de Cure ou bien encore Charisma. Il nous replonge dans ses thèmes favoris qu’il traite d’une manière bien à lui, pour le plus grand bonheur de nos sens. Il revient sur le malaise qui règne dans la société nippone et même si certains de ses films, comme License to Live, datent de dix ans, ils résonnent d’actualité. Il aborde, avec élégance et de manière subtile, la notion de perte de repères, de personnalité aux multiples visages et introduit l’idée de nouveau départ, d’une nouvelle voie que tout un chacun pourrait un jour emprunter.

« Plus je tourne de films, plus le monde m’échappe »

Homme rationnel, au raisonnement scientifique, Kiyoshi Kurosawa semble loin de ses personnages. Pourtant, tout comme eux, il avoue vivre dans « l’incertitude du devenir et l’incompréhension de [sa] propre expérience ». Il place donc volontairement ses personnages dans un quotidien qui les dépasse et qu’ils ne maîtrisent pas. Les fantômes de Kiyoshi (titre du documentaire réalisé par Yves Montmayeur accompagnant les dvd), sous forme palpable ou non, ne sont pas « terrifiants ou malintentionnés », mais lorsqu’ils apparaissent, la vie de chacun en est bouleversée.

L’apparition de ses fantômes lui donne l’occasion d’ébranler les quotidiens de ses personnages et donc d’aborder la notion qui semble très importante à ses yeux et qui est celle du changement, d’une sorte de renaissance. Dans Doppelganger, le personnage principal (admirablement interprété par Koji Yakusho que l’on retrouve également dans License to Live et Cure) se retrouve confronté à son doppelganger (un sosie qui annoncerait une mort certaine). Ce dernier lui permet de révéler ses différentes personnalités qu’il ne connaissait pas lui-même, ou seulement de manière inconsciente. L’homme obtient alors la possibilité d’un nouveau départ, une fois qu’il aura affronté cette autre partie de lui ou qu’il l’aura acceptée. Tout comme son personnage, le film oscille entre thriller et comédie. Un film à l’aspect double et au double aspect, qui se révèle sublime et superbe de schizophrénie.

Dans License to Live (celui des quatre où le paranormal semble le moins ancré), Yutaka Yoshii se réveille d’un coma qui a duré 10 ans. A son retour à la vie, celle-ci a bien changé. Le monde qui l’entourait n’est plus le même et sa famille a éclaté. A travers sa constante envie de retrouver un équilibre appartenant désormais au passé, le réalisateur insiste sur la perte de repères qui trouble aujourd’hui, comme hier, la société nippone (uniquement ?). L’envie de recréer un monde désormais révolu nous place face à la problématique du changement et de tout ce qu’il engendre. Là encore (et plus encore d’ailleurs), le changement que ne peut accepter Yutaka sera un moyen pour lui de repartir à zéro.

Le bouleversement qu’introduit Kiyoshi Kurosawa dans le quotidien de ses personnages par le biais de ses fantômes renvoie chacun des spectateurs à lui-même. Comme une sorte de miroir, les films de Kurosawa sont bien plus que des films du genre horreur. Ils traduisent un malaise, un mal-être, que seule la confrontation à nos angoisses existentielles peut résoudre.


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