Coffret Ernst Lubitsch

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De Ernst Lubitsch, on connaît surtout sa dernière salve de films, produits à Hollywood, parmi lesquels Le Ciel peut attendre et To be or not to be (1942), féroce satyre du nazisme. Né à Berlin en 1892 de parents immigrés russes, le cinéaste doit son parcours à son entêtement passionné, qui le fit passer de […]

De Ernst Lubitsch, on connaît surtout sa dernière salve de films, produits à Hollywood, parmi lesquels Le Ciel peut attendre et To be or not to be (1942), féroce satyre du nazisme. Né à Berlin en 1892 de parents immigrés russes, le cinéaste doit son parcours à son entêtement passionné, qui le fit passer de comptable pour la boutique de textiles de son père à comédien, guidé par les metteurs scènes de théâtre que furent Victor Arnold et Max Reinhardt. Ce sont eux les premiers qui sauront exploiter ce désir de la scène, et seront de véritables mentors pour Lubitsch, apprenti comédien à l’époque. Le coffret édité ce mois-ci permet de redécouvrir son travail en Allemagne, où son ascension commença véritablement en 1919 avec La Princesse aux huîtres, comédie grotesque tel que l’annonce l’intertitre, mais aussi sophistiquée dans ses personnages et son traitement, définissant dès lors la « Lubitsch’s touch ».

La période allemande de Lubitsch s’étend de 1913 à 1922, durant laquelle il aura réalisé plus de 40 films. Hasard du temps (le réalisateur ne sera pas appelé à défendre son pays), richesse du contexte (l’Allemagne est alors la première nation productrice de films), la chance et la peine ont concouru à donner à Lubitsch une chance de briller, ce dont il ne s’est pas privé. Entre courts-métrages et films de fiction, on découvre très tôt chez Lubitsch son goût immodéré pour la comédie, souvent sur fond de marivaudage exquis, puis plus tard pour la satire, To be or not to be étant son fait d’arme le plus célèbre… d’autant plus qu’à l’époque de sa sortie, le régime nazi avait déchu Lubitsch de sa nationalité allemande, l’obligeant en quelque sorte à composer avec Hollywood.

Mais c’est bien avant cette époque que l’on retrouve le Lubitsch des débuts. Plus précisément en 1918, avec Je ne voudrais pas être un homme. L’actrice Ossi Oswalda, alors jeune première, déploie tout un trésor d’imagination pour incarner à l’écran la jeune effrontée préférant la vie dissolue (à l’époque, jouer aux cartes) plutôt que de se comporter en fille correcte et « bien » éduquée. On retrouve dans le caractère de l’héroïne principale un peu de Lubitsch qui, loin de se plier aux exigences qu’on lui impose, n’en fait qu’à sa tête. Le jeu de dupe résultant de l’intrigue est l’occasion de se promener rapidement dans les sphères du beau monde, où le salon dansant fait office de lieu de rencontres, là où les hommes rutilent dans leurs costumes, tirent d’épaisses fumées de leurs cigares et s’affichent en groupe, un monocle à l’œil si possible. Où les femmes cancanent, paradent dans d’improbables robes et se font faire la cour par ces messieurs. C’est dans cette atmosphère chaleureuse que baignent la plupart des films du début, Ossi Oswalda, faisant ici le difficile apprentissage d’être un homme. Elle, qui au début du court-métrage faisait tourner les têtes, décide de voir de l’autre côté du miroir. Mais même grimée, elle attire la convoitise, seulement pour se rendre compte au final que la nature est peu délicate avec le sexe opposé (celui habituellement porté sur la galanterie). Lubitsch aurait pu défendre une cause plus noble, mais choisit avec celle qui joua dans plusieurs de ses films, de faire la part belle à la marginalité encouragée, pied de nez au politiquement correct.

Un an (et 8 films après !), Lubitsch sort La Princesse aux huîtres, comédie grotesque et vaudevillesque, inspirée et presque nonsensique, même si la durée courte de l’essai impose de rester simple (mais habile) dans le déroulement de son fil narratif. Ce que son auteur a parfaitement compris, mixant l’art et la manière de le faire : dans ce récit, il faut à la capricieuse jeune princesse un négociateur de mariage pour se procurer de toute urgence un prince, et ainsi ne pas perdre la face devant le mariage de sa rivale… tâche pas si simple que ça quand se déclarent, tout le long du chemin, quelques quiproquos angoissants, la lassitude de son monarque de père et surtout, une épidémie de fox-trot touchant toutes les personnes vivant au château ! Burlesque à souhait, sans toutefois faire dans l’étalage magnifique d’un Buster Keaton.

Cependant, c’est dans La Chatte des montagnes, avec l’actrice Pola Negri qu’il connut sur les planches, que Lubitsch perfectionne certains de ses tics. Avec cette histoire narrant l’exil d’un jeune Casanova dans une caserne située en plein désert, et l’attaque impromptue d’un peuple des montagnes menée par une furie, Lubitsch convie pêle-mêle les ingrédients d’une odyssée improbable dans des décors fantasmés (des montagnes enneigés on passe au désert de plomb sans transition). Il y ajoute des scènes de foules hilarantes, des cadres inspirés (voire modifie son cadre par l’ajout de formes géométriques devant son objectif) et chorégraphie des scènes de comédie enlevées.

La fin de la première Guerre Mondiale a marqué la fin de la carrière d’acteur du comptable familial : Lubitsch était désormais réalisateur et c’est avec naturel qu’il a effectué la transition du comique de petits films à la régie de films, courts, puis un peu plus long, comiques ou historiques. L’apprentissage obtenu de ses premiers maîtres lui a permis d’aborder plus facilement la réalisation et d’y appliquer toujours une grande théâtralité, nécessaire au film muet. Anna Boleyn et Sumurum marquent avec plus de rigueur le style de Lubitsch, alors influencé par la vague de films historiques dont le public était friand. Tournés coup sur coup en 1920, ils ont bénéficié tous deux du formidable élan d’effort voulant faire de Berlin une capitale cinématographique, alliant dans ses productions architecture expressionniste, jeux parfois excessifs des acteurs et mise en scène inspirée. Il n’hésita pas à repasser devant la caméra pour Sumurum, à l’image de Charlie Chaplin, acteur réalisateur dont il se sentait proche. Deux parvenus qui dans leurs films jouent souvent les arrivistes naïfs et maladroits devant passer par de multiples épreuves (pression sociale, préjugés) pour s’élever et « réussir », dans leur besoin de paraître respectable, d’avoir la fille, d’accéder à une certaine normalité malgré tout. Les deux films sélectionnés pour représenter cette période faste pour Lubitsch sont cependant moins glorieux : si leur durée montre l’ambition du réalisateur, ils sont aussi trop engoncés dans cette directive pour passionner, le cadre perdant aussi en simplicité efficace. Lubitsch joue en contrepartie avec d’autres constantes tel que les décors, plus qu’improbables, et surtout une interaction et un jeu entre ses acteurs faisant toute la saveur de ces premiers films : débordant d’une énergie qu’on croirait ne plus jamais voir ailleurs que chez cet ancien comédien, guéri de sa lubie, donnant toute son énergie à diriger des acteurs qu’il aime.

On pourra retrouver dans le coffret un documentaire intitulé Lubitsch in Berlin, suivant chronologiquement les grandes étapes de la vie de Lubitsch, où interviennent de multiples intervenants, parmi lesquels des membres de sa famille ou des réalisateurs contemporains allemands influencés par son travail (Tom Tykwer, Wolfgang Becker parmi tant d’autres). Excellent complément au coffret, ceux-ci témoignent avec passion du rôle et de l’importance dans le paysage cinématographique allemand de celui qui déclara que les spectateurs devaient « apprendre à écouter avec les yeux » pour appréhender le film muet.

Titre original : Die Austernprinzessin

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Durée : 60 mn


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