Coffret DVD : OEuvres complètes de Kijû Yoshida – Partie 2 (1965-1968)

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Les films de la deuxième période de Kijû Yoshida sont de très grands moments de cinéma à découvrir de toute urgence…

Coffret Carlotta Films 4 DVD (sortie le 09 mars ; 50 euros) : 1/ Histoire écrite sur l’eau ; 2/ Le Lac des femmes ; 3/ Passion ardenteAmours dans la neige ; 4/ Flamme et femmeKijû Yoshida, Qu’est-ce qu’un cinéaste ?

Les cinq longs-métrages inclus dans le coffret se distinguent les uns des autres sur la base d’un projet unique : brosser des portraits de femmes. Incarnés par l’épouse du réalisateur, Mariko Okada, ces personnages se définissent par une même volonté d’émancipation et d’insoumission à la structure sociale imposée par les hommes. L’objectif commun aux films consiste en effet à revendiquer la liberté sexuelle des femmes sous ses formes les plus variées. Loin de porter un jugement moral sur les situations abordées, les œuvres de Yoshida cherchent à abolir les tabous et à reconnaître les choses pour ce qu’elles sont. Développant les thèmes de l’inceste (Histoire écrite sur l’eau), de l’adultère (Le lac des femmes), de la filiation maternelle (Passion ardente), de l’amour impuissant (Amours dans la neige) et de l’insémination artificielle (Flamme et femme), chacun de ces films tend à conjuguer la modernité du médium cinématographique à une conception radicale et subversive de l’identité féminine.

Nées d’un même parti pris, les œuvres de Yoshida font preuve d’un même désir de rupture quant à la représentation traditionnelle de la femme dans les films commerciaux. Contestant l’idée que les actrices soient incessamment considérées comme les objets potentiels du regard, du désir et des fantasmes des spectateurs masculins, Yoshida tente d’inverser les rapports en déplaçant les notions mises en jeu. Les cinq films présentent autant de personnages féminins capables de renvoyer aux hommes leur regard. Bien plus fortes qu’eux, les femmes en effet vont continuellement au-devant du désir masculin quitte à le conduire jusqu’au déni. L’érotisme qui s’en dégage n’a donc rien d’affriolant mais relève bien plus d’un phénomène de distanciation généralisée auquel l’ensemble des longs-métrages se conforme.

Il est étonnant de voir comment, à partir d’une telle théorie, Yoshida s’emploie à réaliser ses œuvres et comment, et c’est là l’intérêt de réunir ces cinq films dans un seul coffret, son style a dès lors évolué. Devenu son propre producteur depuis Histoire écrite sur l’eau, Yoshida a su mettre au point un style résolument abstrait, à même d’exprimer les choses les plus difficiles à filmer. Chaque long-métrage de cette période met en scène le dessaisissement du personnage féminin. La femme, l’épouse ou la mère n’est plus ce qu’elle devrait être, et semble en-dehors d’elle-même, dépossédée de son propre moi. Sans passer par le verbal, les films expriment l’idée de ce dessaisissement grâce à une troublante mise en scène qui s’appuie sur un jeu complexe de reflets dans les miroirs ou dans les vitres. Devenant un objet parmi les objets, le personnage féminin projette son image dans un monde terne, morne et aseptisé. La femme paraît ne plus faire qu’un avec l’environnement qui l’entoure et l’étouffe. Le monde dépeint par Yoshida transcende la distinction entre l’objectif et le subjectif. Non seulement les scènes de rêve et de souvenir s’intercalent entre les scènes de veille, mais rien à l’écran n’en souligne les différences représentatives. Chaque séquence, chaque scène, chaque élément renvoient à une seule et même substance figée en elle-même – le personnage féminin principal – qui, lancée à la recherche de l’Autre, se voit traversée par de puissantes forces sexuelles.

Il serait tentant d’affirmer que les films de Yoshida prennent cadre dans un univers mental. A bien y regarder, la réalité filmique transcende également la distinction entre le mental et le physique. Ne cessant de multiplier les points de vue, de s’accrocher et de tourner autour des corps, la caméra entretient une relation particulièrement sensuelle avec les personnages filmés. Il s’agit par là de matérialiser le désir sexuel éprouvé par le protagoniste principal à l’adresse des autres personnages et de conduire le film selon les modulations de cette force. C’est donc la même chose de dire que le film représente et que le corps désire : le corps se regarde lui-même désirer. Définie comme une abstraction mentale, l’image donne corps au cheminement du désir sexuel tandis que la matière physique qu’est le corps renvoie au propre désir de représentation de la caméra.

Dans la mesure où ils connectent l’univers physique à l’univers mental et s’évertuent à les représenter l’un dans l’autre, les films de Yoshida semblent profondément marqués par un  même fantasme : retourner comme un gant l’enveloppe psychosomatique des personnages incarnés par Okada. La singularité du cinéaste ne se situe pas, par conséquent, dans la mise en œuvre originale de la fiction, mais dans le processus qui lui permet de renverser les rapports narratifs habituels. A l’instar d’Ozu, mais dans une perspective totalement opposée, Yoshida joue de la liberté sémantique des images. Déstructurant le sens de ses films par l’emploi d’un montage flottant (incohérence des raccords, désorientation des coordonnées spatio-temporelles) et par une écriture dramatique en prise avec le banal et le quotidien, Yoshida semble également chercher à retourner l’enveloppe mélodramatique des films de ses débuts, du type de La Source Thermale d’Akitsu. Tel est assurément le sens du terme « anti-mélodrame » avec lequel le cinéaste a l’habitude de désigner ses œuvres.

En inversant les rapports et les codes filmiques habituels (l’image de la femme, l’analogie représentative, l’écriture dramatique), Yoshida réalise des films ouverts, tout en creux, inépuisables et inexplicables.

Support technique et bonus des DVD

Coulées dans un noir et blanc des plus somptueux, les œuvres de Yoshida n’ont rien perdu de leur éclat lors de leur transfert en DVD. Idem pour les sons et la musique. Rien n’a été trahi, les films conservent leur caractère singulièrement artistique.

Pour ceux qui désirent se lancer dans l’aventure, Carlotta Films a judicieusement pensé à accompagner chaque film du coffret par deux catégories de modes d’emploi : d’une part, la présentation des œuvres par le cinéaste lui-même (que le menu propose de voir en introduction au film correspondant) et, d’autre part, la bande-annonce japonaise originale. Un bon moyen pour mieux aborder l’univers de Yoshida consiste aussi à regarder le documentaire Kijû Yoshida, Qu’est-ce qu’un cinéaste ? qui retrace l’ensemble de la filmographie du réalisateur en quatre parties avec, à l’appui, des extraits de films et des interviews de critiques français et japonais, du réalisateur et de son épouse.

Titre original : Onna no mizuumi

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Durée : 94 mn


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