Ce qui est si beau dans ces films, en définitive, dans Selon Mathieu (2000) et Le Petit Lieutenant (2005) pas moins que dans les précédents Nord (1991) et N’oublie pas que tu vas mourir (1995), ainsi donc que dans Des hommes et des dieux, c’est l’apaisement accompagnant ces tragédies contemporaines jusqu’au bout. Peu de films prennent acte du pire avec autant de sagesse. Il n’était au fond pas tellement nécessaire à Beauvois de faire de la foi son sujet, d’élire pour sujets des hommes se nourrissant du seul esprit pour identifier la dimension sinon pieuse, tout au moins profondément « convaincue » de tous ses personnages.
Révolté par le licenciement abusif de son père, Mathieu tentera un temps de rallier à sa cause ses collègues, son frère aîné, de créer du mouvement dans un groupe davantage uni dans le cadre du plaisir, de l’évasion (chasse, mariage) que de l’engagement. Les collègues, bien que partageant sciemment le constat du jeune homme, ne deviendront pas des « camarades » à la seule faveur d’un diagnostic d’entubage. Selon Mathieu sera bien un film travaillé par la question du rapport de classes, mais jamais de leur lutte. Non que Beauvois établisse ici le constat d’une vanité de la résistance, d’un peuple qui, s’il ne manque jamais à l’image – on ne compte plus le nombre de plans du film réunissant dix personnes sinon plus, aussi bien à l’occasion des joyeuses réunions précitées que de circonstances plus lourdes telles qu’un enterrement –, n’a plus le temps ni l’énergie de croire encore en un mouvement utile.

Lorsqu’il sort de l’école de police, Antoine, le « petit lieutenant » incarné d’une manière toute candide par Jalil Lespert, a l’inquiétude et l’excitation du lycéen découvrant un nouveau lieu (un commissariat parisien et son folklore, plus stimulant que celui que lui promettait son Havre natal, trop amorphe à son goût), de nouveaux camarades (un arabe sympa, un beauf pas méchant, un gendre idéal), de nouvelles fournitures (un vrai pistolet, comme dans les films !). Le film accompagne ainsi pendant sa petite heure de vie son point de vue de bleu ne se sentant jamais aussi policier que sur le terrain, face au sang, galvanisé par la ritournelle des sirènes.

Fut émise en certains lieux, à l’heure de la présentation cannoise triomphale de Des hommes et des dieux, l’hypothèse que Xavier Beauvois serait, sinon le plus grand cinéaste français de ces dernières années, dans tous les cas l’un des plus sous-estimés. La (re)découverte de ces deux films, mais surtout le retour sur les obsessions profondes de cette filmographie à la fois modeste (seulement cinq longs métrages en près de vingt ans !) et déjà si majeure ne manque effectivement pas de la valider. Le succès, la reconnaissance communément critique et publique de ce dernier tenant lieu quant à elle de happy end (Beauvois serait en quelque sorte l’équivalent de Benjamin Biolay, au niveau du cinéma français : artiste surdoué et torturé dont le succès prioritairement critique des quatre premières œuvres n’annonçait pas le carton d’une cinquième plus apaisée, plus encline à la félicité) et, on l’espère, de promesse d’une conscience nouvelle de la valeur, l’exemplaire cohérence de son art.
