En pleine prohibition, Joe (Tony Curtis) et Jerry (Jack Lemmon) saxophoniste et contrebassiste de leur état, la pègre aux trousses, se trouvent contraints de se mettre au vert. Une seule solution s’offre à eux, quitter Chicago et se cacher dans une troupe de musiciens itinérants en tournée en Floride. Petit détail, les musiciens sont des musiciennes. Le postulat de départ est alors simple et rythme tout naturellement le film : quoi qu’il arrive, nos deux héros ne devront jamais être démasqués. Démasqués au sens littéral, c’est-à-dire attention aux perruques ! Gaffe aux faux seins! Là où Certains l’aiment chaud trouve sa folie, son souffle dément, c’est dans les multiples niveaux de menace que construit Billy Wilder autour des deux hommes. La pègre italienne de Chicago donc, mais également ces jeunes femmes qui les entourent, ces musiciennes forcement délurées. Si, en plus de cela, les cœurs s’en mêlent, si Joe tombe amoureux d’Alouette (Marylin Monroe), si un vieux millionnaire, Osgood (Joe E. Brown) tourne autour de Jerry, prohibition ou pas, les têtes n’ont pas fini de tourner.
Cache-cache
Ancrés dans leurs personnages, Joe et Jerry, non contents de se cacher sous leurs perruques, font du zèle. Tous les deux habités par leur rôle, ils sont en représentation permanente et existent désormais pleinement en tant que femmes. Ils ont beau se plaindre de leur situation quand ils sont seuls tous les deux, pester contre ces prothèses mammaires qui glissent sans cesse, le plaisir qu’ils ont à se travestir dans l’hôtel floridien qui accueille la troupe, est difficilement dissimulable. Le scénario et la mise en scène de Wilder rendent cette situation loufoque toute naturelle, mais c’est sans aucun doute l’énergie de Curtis et Lemmon qui fait de Certains l’aiment chaud une telle réussite. Si Joe et Jerry aiment à se travestir, que dire du bonheur de jouer qui transpire du jeu des deux acteurs. Cachés dans un train, dans leur hôtel, l’excitation qui se dégage de chaque scène, fait qu’au fil des minutes, ils oublient, et le spectateur également, la raison pour laquelle ils se cachent. La menace a disparu et l’univers crée par Wilder autour d’eux, plus que de les protéger, leur faire perdre toute notion de la réalité. Il va pourtant bien falloir sortir de sa cachette. Une jeune femme va les aider.
Chats et souris
Si les dialogues du film ont été adaptés en France par Raymond Queneau, ils rappellent également le swing d’une autre plume, celle de Boris Vian. Quand un membre de la pègre crie à l’encontre de Joséphine, « Hey, c’est pas une souris ! », on pense à l’Amérique fantasmée de Vian. On pense aux souris, aux filles, dont il a parsemé quasiment toutes les pages de son œuvre « noire » signée Sullivan. Des filles faussement ingénues qui tiennent les hommes qu’elles croisent dans le creux de leur main. Alouette est ce genre de souris. Répétant encore et encore à Joe (déguisé en millionnaire pour la séduire) qu’elle est idiote, jusqu’à ce qu’il finisse par le croire. Comme Marlène Dietrich dans La Scandaleuse de Berlin, Geneviève Page dans La Vie privée de Sherlock Holmes, Audrey Hepburn et ses collaborations avec le cinéaste ou encore la Marylin de Sept ans de réflexion, les femmes chez Wilder ont le pouvoir. Crier à qui veut l’entendre qu’elle est idiote, c’est attirer le chat, le faire sortir de sa cachette. Alouette/Marylin n’a alors qu’à cligner des yeux pour voir les hommes faire des folies pour elle.
Egalement, quand Jerry, déguisé en Daphné, se fait draguer par Osgood, un vieil homme riche à ne plus savoir qu’en faire, Wilder s’amuse de cette inversion des rôles. Il place au même niveau le travesti et l’icône blonde, et le résultat est sensiblement le même. A savoir, dans les deux cas, un homme roulé en boule à leurs pieds. Si la filmographie de Marylin est très inégale, Wilder a réussi à obtenir le meilleur d’elle, ici comme dans Sept ans de reflexion, en lui permettant de jouer avec son image; en dissimulant derrière son visage angélique et ses moues d’enfant, des personnages décalés mais très forts, manipulateurs sans le vouloir.
Quand la pègre retrouve Joe et Jerry dans les derniers instants du film, on ne se fait alors aucun soucis pour eux. Si nos héros ont réussi à se sortir vivants des griffes des musiciennes fêtardes, de leurs amours respectifs, ils n’ont rien à craindre de ces gangsters de pacotille tellement prévisibles. Ne reste plus qu’à expliquer au flegmatique Osgood que Jerry et Daphné ne font qu’une seule et même personne. Mais le bougre semble ne pas en démordre : Mais vous ne comprenez pas Osgood : je suis un homme ! / Et alors ? Personne n’est parfait. Certains l’aiment chaud mais pour d’autres, il est peut-être à nouveau le moment de se cacher.