Cartel

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Nouveaux riches américains, aristocratie mexicaine, investisseurs en cavale à Londres, banquiers véreux, femmes fatales et vénales : les ingrédients du thriller élégant sont en place. Seulement la robotique hollywoodienne de « Cartel », tenue en main experte par Ridley Scott, est étrangement déliquescente.

Sans connaitre le travail du romancier Cormac McCarthy, l’adaptation de son No Country for Old Men (2008) par les frères Coen avait déjà mis la puce à l’oreille sur sa matière littéraire : l’Ouest américain, et l’Amérique, étaient terrains de jeux à un dé-moralisme formel assez brillant. L’impossibilité pour les personnages de discerner les raisons de la menace qui pesait sur eux, faisait du western des frères Coen un grand moment de tension permanente, aussi violent qu’étrange, notamment grâce au personnage de Javier Bardem, grand-guignolesque au possible.

La présence de l’acteur, encore au top question accessoire capillaire, au casting de Cartel n’est pas le seul lien entre les deux films, puisque c’est désormais McCarthy lui-même qui est aux commandes du scénario, original cette fois-ci. En résulte que la structure du film y est complètement assujettie – Scott se contente d’illustrer en pilotage automatique par de grands plans de la frontière aride comme il sait les faire – voire dominée par un matériel écrit semble-il infini.

 

Le film est un agrégat de récits, au moyen de scènes de dialogues longues, vaines et drôles, dont la menace de représailles d’un cartel mexicain sur un avocat véreux est l’argument façade. Cette grandiloquence et cette pesanteur des face-à-face, scène-type reproduite dans tout le film (Fassbender avec Bardem, Bardem avec Diaz, Brad Pitt avec Fassbender), prennent place dans des décors luxueux et tocs, confortent la sensation de vacuité d’un scénario ramifié qui pourtant patine sur lui-même avec un certain plaisir. Les acteurs en font trop, servant une partition mystérieuse qu’ils semblent ne pas bien comprendre. L’attente s’étire. La déflagration va-t-elle advenir ? Le suspense, l’action ?

Pas si sûr, et c’est ce qui fait, paradoxalement, l’attrait hypnotique du film, qui ne s’intéresse pas au déroulé classique qu’on attend de lui. C’est un objet bouffi, au casting trop chargé, aux diamants trop gros, au luxe éventé. Les figures traditionnelles du thriller, réduites à des signaux minimalistes, comme ce « ils » invisibles que sont les hommes du cartel, qu’on ne prend pas la peine de montrer. Des cadavres déplacés à travers les frontières dans des barils qu’il n’est même plus besoin d’éliminer sont les emblèmes d’un monde où le crime est impuni, impudique, normalisé. Les riches ont a craindre, car leur monde s’apprête à s’effondrer, semble dire à chaque scène McCarthy, et les petites mains mexicaines seront toujours là, interchangeables, pour nettoyer le sang des exactions.

 

La noirceur désespérée du film vient encore du scénariste, qui semble s’amuser des motifs de cinéma qu’il manipule, désabusé par une méthode hollywoodienne, qui, malgré l’artillerie lourde de ses moyens artistiques, risque à tout moment de flancher. Le scénariste choisit donc, et c’est bien le grand geste du film dû à l’écriture de McCarthy, de désamorcer lui-même la possibilité de suspense des images, en l’annihilant. Quand la vision du monde n’est plus fiable, la parole prend le contrôle.

Ainsi, ce sont les personnages qui annoncent eux-mêmes les nombreuses et cruelles mises à mort qu’ils vont subir. Incroyable effet que celui de connaitre par le menu le sort réservé à tel ou tel personnage. Le plaisir spectatoriel s’en trouve changé, laissant légèrement pantois face à des scènes de cinéma dont on nous a déjà conté l’histoire. Un plan suffira, sur un objet, pour que le rappel d’une anecdote atroce fasse ressurgir à nous la réalité d’un crime, resté hors champ, jamais mis en scène.

C’est peu de choses en somme, cette capacité du film à se présenter comme une petite bombe consciente de ses effets qui n’explose jamais. Comme un mécanisme déceptif et défensif au cœur d’un cinéma hollywoodien offrant au regard de tout voir, au cerveau de tout comprendre instantanément avant de passer au plan suivant. McCarthy, à sa manière, aidé par un papi Scott indifférent, réalise un film peu aimable, rebus d’une tradition d’efficacité qu’il dénigre avec un certain plaisir.
 

Titre original : The Counselor

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Durée : 111 mn


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