Borgman

Article écrit par

Ce film ressemble à un thriller, en a la couleur, mais n’en est pas tout à fait un.

Attention Borgman n’est pas vraiment un thriller – comme sa publicité l’indique. Ou alors un thriller d’un genre très particulier, en aucun cas le paradigme du genre. Même si la première séquence montrant une chasse à l’homme nous laisse entrevoir un film survitaminé, cette vitalité baisse très vite pour laisser la place à un récit plutôt alangui et à une intrigue mâtinée d’une forme d’absurde déconcertant. Le réalisateur Alex van Warmerdam, auteur remarqué des Habitants (1992) et de La robe, et l’effet qu’elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent (1996), déclare dans le dossier de presse "avoir puisé son film dans une région obscure et inconnue de son imagination" et "aussi d’avoir voulu faire un film très ouvert à l’interprétation". En tout état de cause son but est atteint. En revanche, il n’est pas certain que cela remplira exactement notre attente car la superposition tout au long de son film d’un récit réaliste (critique de la bourgeoise, menace de Borgman) et d’éléments allégoriques sortis tout droit du fantastique des frères Grimm, ne va pas tout à fait de soi.
 

 
Pourtant tout est mis en place pour un suspense haletant. L’un des fugitifs de la première séquence (Camiel Borgman) se réfugie dans une luxueuse maison cachée dans une clairière. ll réussit à trouver l’hospitalité auprès de la maîtresse des lieux après que son mari a expulsé manu militari l’impétrant. On retrouve l’homme des bois bientôt dans la baignoire du couple… De là s’opère une fascination progressive de Marina (la pulpeuse mère de famille, interprétée par Hadewych Minis) pour l’homme qui s’est introduit dans sa demeure, son futur bourreau. Cette attirance, probablement l’idée la plus intéressante ici développée, est une forme de syndrome de Stockholm à tendance sexuelle. En effet Marina, pièce maîtresse de l’intrigue – presque constamment dans le champ – alors qu ‘elle aurait toutes les raisons de fuir l’homme qui s’est immiscé dans le bel ordonnancement de son foyer, est au contraire attirée sexuellement par son persécuteur au point de bientôt littéralement supplier celui-ci de lui faire l’amour. Le sexe est, dans ce film, non seulement jamais montré (car il n’existe pas), mais toujours refoulé, le désir étant à la lisière de l’assouvissement et demeurant toujours campé sur cette frontière. Et ce sont les hommes, curieuse situation, qui éconduisent les femmes. Camiel se refuse à Marina malgré son insistance et lorsque la jolie baby-sitter veut investir la couche d’un des complices de Camiel dans la cabane de jardinage, c’est ce dernier qui décline l’étreinte. Warmerdam s’amuse visiblement à renverser les codes de la séduction et sans doute à faire un lien entre la claustration symbolique de la famille dans un luxe névrosant, et l’asphyxie des sens dans laquelle se trouveraient les femmes de la maison (au demeurant jeunes et jolies), et qui ne demanderaient qu’à s’offrir au premier inconnu venu. En outre, dans une configuration plus classique, les vagabonds meurtriers devraient être des violeurs avides de chair fraîche, or, ici pas question de toucher à un seul cheveu de ces femmes pour le moins disponibles. Peut-être est-ce le Diable, qui par le truchement de Camiel et ses acolytes, refuse la satisfaction sexuelle des otages, afin de les punir jusqu’au bout de leurs existences de bourgeoises ?

 

 

C’est une piste, toujours est-il que la mise en scène soignée du réalisateur batave ne suffit pas à faire un bon film. Au fil des déconvenues sexuelles de ses héroïnes, d’assassinats perpétrés dans une veine tragi-comique, Alex Van Warmerdam donne l’impression de ne pas savoir vraiment vers quoi il va. On dirait que plusieurs directions sont possibles et qu’il se dit : bon an mal an, prenons-les toutes un peu pour voir ce que ça fait ! Il nous a bien affirmé plus haut que Borgman était le fruit de son imagination, peut-être même de ses rêves et donc de son inconscient. C’est la raison pour laquelle ce film est excentrique, un peu bordélique pour tout dire. Après un départ plein de la promesse d’une intrigue serrée et construite, le film s’étire en longueur, s’éparpille, et nous ne savons plus où nous en sommes. La critique de la bourgeoisie ainsi que l’effet anxiogène attendu en sortent diminués. Où Alex Van Warmerdam veut-il en venir ? Nulle part sans doute si ce n’est à nous faire savourer une ambiance très particulière, un peu foutraque, et nous laisser interpréter chacun à notre guise les événements qui jalonnent son film et notamment le curieux épilogue qui laisse toutes les exégèses possibles.

Titre original : Borgman

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 113 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi