Avez-vous déjà assisté à un naufrage cinématographique ? À voir lun des films que vous attendiez le plus senfoncer toujours plus dans la stérilité ? dans le morne ennui ?
Blade Runner 2049 fait partie de mes cruelles déceptions. Après son merveilleux Premier contact (2016), Denis Villeneuve nous a habitué à mieux. Cette suite de Blade Runner est un blockbuster non seulement insipide, mais en plus prétentieux.
Lennui des ruines
Sans doute cela tient à lécart entre lidée que je me faisais du film et sa réalisation effective. Peut-être. Sauf que près de 5% de la salle manifestèrent leur désapprobation en désertant leur siège. Alors pourquoi cette frustration ? Revenons au premier Blade Runner (1982) film culte. Ou plutôt, constatons le pas de côté queffectue Villeneuve par-rapport à luvre originale. Certes, on appréciera sa volonté de ne pas faire un remake du film de Scott, et, hormis quelques clins dil, de proposer une suite qui sen affranchisse. Tout au long du film (et cest vraiment long), on reconnaît indéniablement la patte du réalisateur, même pour une aussi grosse production. Mais esquisser un pas de côté est-il nécessairement une bonne chose ? et quel est cet écart ?
Comme le premier opus, Blade Runner 2049 dilate sciemment laction dans le temps, au profit dun travail sur latmosphère ambiante. Toutefois, à force de dilater, de retarder léchéance des révélations (devinées bien à lavance), le film se perd dans lennui. Non pas lennui contemplatif du premier volet, où, à travers lerrance de Deckard (Harrison Ford, toujours fidèle au poste), se profilait limage dune cité sur le déclin, à la limite de la pourriture humide ; ici, lennui vire à la leçon métaphysique, à la méditation philosophico-romantique de K (Ryan Gosling, mutique comme à son habitude) sur la signification de ruines futuristes et lirrémédiable décadence dune Terre rongée par les pesticides et les technologies numériques.
De l’érotisme froid
Mais voilà. Cinéma et métaphysique ne font pas bon ménage. Sans doute parce que le cinéma appartient de manière existentielle à lordre du physique, parce quil ne peut pas directement incarner un discours abstrait. Pour tisser un discours, il a besoin de connexions, de liens dun montage. Or cest ce dernier qui fait défaut dans le dernier Villeneuve, qui, contrairement à son habitude, privilégie la fixité du plan (hyper) large à la sensibilité des raccords. Austère, la mise en scène fatigue ; grise ou orangée, la photographie épuise ; monumental, le décor exaspère. À linstar des innombrables hologrammes féminins qui envahissent la ville et lappartement de K on remerciera au passage le film pour confirmer le statut fantasmatique et sexuel des femmes , Blade Runner 2049 propose un érotisme froid, complètement cérébral et dés-incarné. Quelque chose semble épuisé dans ces images de pin-ups lascives, comme si le désir dont le nôtre de poursuivre la projection avait définitivement quitté lhumanité. Quelque chose agace également dans le visage éternellement rigide de Ryan Gosling, qui depuis Drive (2011) se contente de jouer le même rôle de séducteur silencieux mal compris : K/Ryan Gosling devient la figure de cette capitulation des sens. On est à mille lieues de lémouvante (re)naissance à la sensualité de Premier contact, qui voyait Louise Banks (Amy Adams) découvrir la beauté dun geste ou dun mot dans un univers de couleurs pâles.
Y a-t-il un cinéma pompier ?
Monuments démesurés, échelle de plan inhumaine, profusion dimages numériques, musique tonitruante (Hans Zimmer se surpasse : les décibels poussés à lextrême évoquent plus des barrissements déléphants quune quelconque menace) : cela ne vous rappelle-t-il rien ? Non ? Mais si ! Prometheus (2012) et Alien : Covenant (2017) ! Et pour cause : Ridley Scott se trouve producteur délégué de Blade Runner 2049. Et comme pour ses précédents films, il a tenu à imposer au petit dernier sa touche de géant pas finaud. Cependant, ne rejetons pas tout sur le vieux Ridley. Si beaucoup de ses problématiques hantent le film, à commencer par celles de la création/descendance et de lintelligence robotique dont K, à la suite de David (Michael Fassbender), se fait le nouvel héraut, une bonne partie du naufrage incombe à Villeneuve. On sentait déjà germer dans ses uvres antérieures une propension à la grandiloquence du vide. Jusqualors il réussissait à sculpter cette vacuité, à y faire échouer ses personnages après une tension épuisante (Prisoners, Sicario), à en faire un horizon indépassable (Enemy) ou, au contraire, un moyen dentrer dans la vie (Premier contact). Villeneuve partage avec le sculpteur abstrait Henry Moore la passion de la béance palpitante. Or, dans sa dernière uvre, la bulle éclate. À mettre au premier plan le néant, la vacuité, la décadence, Villeneuve sy abîme. On tient là quelque chose de singulier. Un film pompier au XXIe siècle. À sa manière, Blade Runner 2049 aime rouler des mécaniques. Exhiber lampleur de ses moyens techniques et sa mise en scène démesurée. Mélanger dans un vaste fourre-tout les angoisses liées aux robots, à la réalité virtuelle et à la fin du monde. Et comme nombre de peintres pompiers, il piétine son sujet. Gageons que Villeneuve, réalisateur de talent, ne commettra pas le même naufrage pour le futur Dune.