Bilan du 56e DOK de Leipzig

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Le festival DOK de Leipzig vient de se clôturer. Durant une semaine, Jean-Max Méjean y a officié en tant que juré. Morceaux choisis.

Le 56e Festival International de Leipzig s’est tenu du 28 octobre au 3 novembre 2013. Désormais célèbre dans le milieu du documentaire, il attire de nombreux réalisateurs et cinéphiles qui s’y pressent pour découvrir ce qui se fait de mieux dans le genre, mais aussi pour goûter à la dolce vita made in Leipzig, deuxième ville en importance après Dresde, au nord-Ouest du Land de Saxe. DOK Leipzig, comme il est maintenant courant de l’appeler, a pour logo un pigeon – sans doute parce que l’oiseau est voyageur. Cette année, les jurys international, œcuménique et Fipresci ont eu le choix entre une douzaine de films à couronner, venus de tous les pays du monde. Reflets de la réalité sociale, on ne peut pas dire que tous les documentaires proposés soient tous très joyeux. Ils permettaient cependant de nous ouvrir les yeux. N’est-ce pas aussi le rôle du cinéma ?

Leipzig n’a pas la même frénésie hystérique que Cannes, Venise ou Berlin – loin de là, et fort heureusement. C’est un festival où, comme aux Premiers Plans d’Angers, on peut prendre son temps pour échanger deux mots avec des collègues ou des connaissances. Mais en tant que jury, et surtout coachés que nous sommes par l’adorable Felix qui a peur que nous rations une seule séance, nous sommes quand même tenus de voir en priorité tous les films en compétition. Il faut dire qu’à Leipzig, tout est bien organisé et nous avons vraiment le temps de respirer entre deux projections, d’autant qu’elles sont centralisées (du moins en ce qui concerne la compétition internationale) dans le même cinéma multisalles, très central où l’on peut aussi manger et boire. Après avoir vu tous les films, le jury a délibéré pendant près de trois heures pour attribuer son prix Fipresci. Le choix fut d’autant plus difficile que l’ensemble des documentaires présentés sont tous (ou presque) excellents. Choix cornélien, nous avons dû opter pour le film qui nous semblait le plus répondre aux critères de la Fipresci et laisser de côté, par exemple, Stop the Pounding Heart de Roberto Minervini, Die Trasse de Vitaly Mansky, A Diary of a Journey de Piotr Stasik, Super Women de Yael Kipper et Ronen Zaretzky et surtout Optical Axis de Marina Razbezhkina qui m’avait emballé.

 

Stop the Pounding Heart de Roberto Minervini
 

Qu’on se rassure toutefois, trois de ces films ont été primés par d’autres jurys. C’est le cas pour Stop the Pounding Heart (Goldene Taube, premier prix du jury international), Die Trasse (MDR Film Price) et Super Women (Lobende Erwhänung Price). Ce choix est un vrai crève-cœur mais c’est la règle du jeu. C’est en fait la dernière projection qui nous fit changer d’avis. A Folk Troupe du Chinois Gang Zhao a toutes les qualités pour devenir un film important dans le monde du documentaire. Il est à la fois artistique et parfaitement politique au sens large du terme puisqu’il propose une photo de la Chine actuelle, cet immense pays qu’on connaît très mal ici. On se souvient en effet que le festival DOK Leipzig a commencé avec une tempête presque shakespearienne, et se termine, au moins pour les trois membres du jury Fipresci, par une sorte d’hommage au Molière (1978) d’Ariane Mnouchkine. En effet, en décidant de décerner son prix à A Folk Troupe, le jury Fipresci reconnaît d’abord sa grande qualité artistique, mais aussi le fait que ce film parle de la vie d’une troupe, parle de l’art théâtral et de la difficulté d’en vivre. Une troupe d’opéra de type Sichuan, composé d’une dizaine d’artistes, s’installe à la périphérie de Chengdu au printemps 2012. La directrice de la troupe la mène de main ferme depuis de nombreuses années et le film montre l’équipe présentant ses spectacles traditionnels dans un hangar loué et menacé de toutes parts par la destruction. Dandan, seize ans, belle et talentueuse, est l’actrice la plus importante de cette troupe et a toujours rêvé de devenir une star. Mais la mode de l’opéra du Sichuan connaît en Chine un profond déclin. Il est maintenant évident que le style n’attire plus que de vieilles personnes et devient presque un objet de musée. On le voit, les comédiens rencontrent de grandes difficultés pour vivre et se nourrir. D’autre part, l’administration ne les aide pas vraiment et le public est composé exclusivement de vieilles personnes. Il faut voir dans ce beau film comme une métaphore de la Chine entre tradition (par exemple, l’Opéra de Sichuan, le respect des anciens, le bouddhisme même s’il est utilisé ici à des fins plus commerciales qu’artistiques ou religieuses) et modernité (jeux vidéo, téléphones portables, abandon de la soumission que subissaient naguère les femmes).

C’est un film à la fois beau, émouvant, violent qui ose montrer une image nouvelle de la Chine tout en conservant la fascination pour sa culture et son art. En s’immisçant dans la troupe, le réalisateur et son équipe sont parvenus à constituer une nouvelle troupe. Cette idée de troupe, chère à Shakespeare et à Molière, est certainement le ferment le plus productif de la création vivante et du cinéma, tout comme le music-hall et le théâtre qui n’y échappent pas non plus. C’est pourquoi A Folk Troupe est un film important qui devrait être montré aussi dans les écoles qui enseignent le théâtre, le cirque et le cinéma. Ce fut le travail d’Ariane Mnouchkine, c’est ici le rôle de Gang Zhao qui l’illustre parfaitement en choisissant non la fiction, mais le documentaire, ce qui est encore plus difficile. Il nous dit que la vie d’artiste n’est pas aussi romantique qu’on veut bien le croire mais qu’il faut se battre. Il nous le démontre avec réalisme et de manière impressionniste. Comme pour nous dire que le genre peut encore survivre, il suffirait de peu.

 

A Folk Troupe de Gang Zhao
 

Comme nous ne sommes pas prisonniers comme ceux de Platon condamnés à regarder les ombres sur la toile blanche, on a pu s’enfuir un peu pour visiter une très belle ville, très artistique (patrie de Bach, de Goethe, de Nietzsche, avec un magnifique musée qui sert de siège au DOK Leipzig pendant la durée du festival). Et aussi pour picorer quelques bijoux au DOK marché, bien plus accessible que celui de Cannes, et qui je l’espère seront un jour distribués comme A Folk Troupe. Le DOK Leipzig décerne une bonne vingtaine de prix, toutes sections confondues. Vous en trouverez la liste ci-dessous, mais en attendant, voici en vrac quelques courts-métrages dénichés.

La Deutsche Vita d’Alessandro Cassigoli et Tania Masi. Un portrait doux-amer des Italiens qui ont choisi de s’installer à Berlin pour diverses raisons. Une manière de comparer deux styles de vie, deux mentalités, deux langages et deux cultures.

As You Like It de Paula Onet. Ce court-métrage roumain nous fait découvrir la tradition d’un village dans lequel les habitants préparent de leur vivant leurs tombes, avec un soin tout particulier pour les photos qui les illustreront.

Finistère de Daniel Andreas Sager. Daniel nous parle de sa vie, de la mort qui vient, de sa maladie, de sa fille décédée, sur fond de mer bretonne. C’est triste mais pas désespéré, car Daniel est un poète mordu de Léo Ferré.

The Love Agency de Martina Carlstedt. Ce film suédois désopilant raconte à la manière du premier court-métrage de Fellini, Une agence matrimoniale, les déboires et les petites joies des cœurs solitaires qui s’y inscrivent et s’y rencontrent de gré ou de force.

Nae Pasaran de Felipe Bustos Sierra. Ce court est sans doute le plus politique vu dans le festival jusqu’à présent dans la mesure où il enquête sur les Écossais qui, en 1974, ont refusé de réparer les avions qu’ils avaient fabriqués parce qu’ils servaient aux fascistes chiliens alors au pouvoir.

Distance de Ekta Mittal et Yashaswini Raghunandan. Ce court métrage a obtenu le Goldene Traube du court-métrage. C’est un film assez arty mais empli d’une grande tendresse qui raconte la solitude affective des travailleurs indiens exilés à Bangalore (État du Karnataka, sud de l’Inde) et qui rêvent d’un amour comme dans les films de Bollywood.

Pour en savoir plus, voir des extraits ou des photos, le site officiel du DOK Leipzig

Pour le palmarès complet, suivez le lien 


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