Bilan du 55e DOK de Leipzig

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Retour sur le 55e festival DOK de Leipzig, qui rassemblait cette année encore, du 29 octobre au 4 novembre, films documentaires et d’animation.

Leipzig est une petite ville du nord-ouest de la Saxe, plus importante en nombre d’habitants que Dresde, la capitale de la région. Très marquée par sa situation géographique et politique en Allemagne de l’Est (on peut d’ailleurs y visiter un très édifiant musée de la Stasi), Leipzig est une très jolie ville ancienne qui a su masquer les marques de la période communiste pour se livrer depuis au capitalisme. Mais c’est surtout une ville qui fut habitée, traversée par de nombreux artistes et musiciens, comme Bach, Mendelssohn, mais aussi Goethe, Nietzsche, Leibniz, et cætera : rien que du beau linge, qui donne envie d’y aller même en dehors de son célèbre festival international du documentaire. Ville du livre, de la musique aussi, Leipzig possède un très beau musée des instruments de musique, un magnifique musée d’art pas seulement contemporain et la célèbre Thomas Kirche où J.S. Bach fut Kapellmeister et où l’on continue à donner certains soirs de très beaux concerts.

C’est ainsi que le DOK Festival se passe plutôt dans d’excellentes conditions. On dit qu’il est l’un des plus prisés du monde avec le Hot Docs de Toronto, et ce n’est pas une réputation usurpée. Pendant six jours, les principaux cinémas de Leipzig accueillent avec engouement des documentaires et des films d’animation venus du monde entier, donnant leur chance à des jeunes réalisateurs, des premiers films. Il faut dire que chaque section reçoit un prix, souvent accompagné d’espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui est une excellente initiative faisant oublier la très longue et fastidieuse remise des prix le soir de la clôture. Mais c’est sans doute la rançon à payer d’un festival qui donne de la visibilité à quiconque y a projeté un film, d’autant que les télévisions comme Arte ou encore MDR (on ne rit pas, MDR à Leipzig c’est une chaîne de télé : la Mitteldeutscher Rundfunks) veillent au grain et recherchent des documentaires à programmer ou, mieux, à financer. Bref, une foire aux films documentaires et d’animation dans une ville aussi connue depuis des temps médiévaux pour sa foire.

On ne parlera que de la section « International Competition Documentary Film », qui a proposé pas moins de 13 films documentaires à la sagacité de plusieurs jurys, dont un œcuménique, un de professionnels internationaux, un autre de jeunes et un de la presse. Ce dernier, alias Prix Fipresci, est remis par des critiques professionnels et se donne dans les festivals du monde entier, et bien qu’il ne soit assorti d’aucun subside, seulement d’un diplôme, il est particulièrement apprécié des réalisateurs.

La sélection présente des films souvent un peu longs pour des documentaires qui devraient se conformer aux « réglementaires » 52 minutes. L’ensemble donne aussi une vision peu réjouissante de l’humanité. Qu’on en juge ainsi :

-Des ouvriers chinois confinés au sommet d’une montagne isolée et qui récoltent manuellement de l’amiante (alors que c’est interdit en Europe depuis plus de 10 ans !). Cloudy Mountains de Zhu Yu : Mention spéciale du Jury international.
-Deux frères colombiens communiquent par Internet et finissent par se retrouver par l’intermédiaire de leur mère qui vit en Suède. Une lutte contre la drogue qui se terminera pourtant par un happy end. Colombianos de Tora Martens : Grand Prix du Jury international.
-Les camps pour les prisonniers politiques en Grèce en 1948 pour lutter contre l’influence des pays communistes voisins. Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit d’Olivier Zuchuat : Prix du jury œcuménique.
-Les relations de haine et d’amour, exacerbées et quelque peu gênantes, entre un « modèle » et son caméraman dans un documentaire qui se veut la mise en abyme des docus. C’est parfois drôle mais surtout très méprisant. Documentarian de Ivars Zviedris et Inese Klava.
-Un jeune Français d’origine algérienne revient en Algérie pour filmer son grand-père qui fut « fidaï » en France au moment de la guerre d’Algérie et qui servit le FLN en allant même jusqu’au meurtre commandité. Fidaï de Damien Ounouri.
-Une histoire d’amitié entre un capitaine de tanker et son pirate somalien qui fit le tour de la Terre en 2009. Der Kapitän und sein pirat d’Andy Wolff, Prix du jury Jeunes.
-Une nuit parmi tant d’autres pour trois médecins au volant d’une ambulance dans Sofia. Le parti-pris du réalisateur est de cadrer ses personnages très serrés et de ne jamais montrer ni la ville, ni les blessés secourus. Sofia’s Last Ambulance d’Ilian Metev : Prix d’argent du jury international.
-Un village en lutte contre les eaux d’un fleuve, désespérément, comme la mère folle de Marguerite Duras dans Un barrage contre le Pacifique (1950). Are You Listening! de Kamar Ahmad Simon.
-La fin de vie d’une vieille dame abandonnée dans une maison de retraite au Chili. Documentaire plein de compassion, mais non dénué d’humour parfois et qui aurait bien mérité un prix. La ultima estacion de Cristian Soto et Catalina Vergara.
-Le récit croisé d’une victime de sévices sexuels et d’un pédophile dans une Pologne froide, glauque et triste. Heureusement, le film respecte la règle et ne dure que 51 minutes…Uwiklani de Lidia Duda.
-Un film sur les peintures rupestres, un peu barbant, un peu prétentieux. Et puis on s’y perd avec ces onze images d’un humain, et puis pourquoi seulement onze ? Le film, qui ne dure que 75 minutes, paraît pourtant interminable. 11 Images of a Human de Markku Lehmuskallio et Anastasia Lapsui.
-Une tentative pour répondre à la question einsteinienne de la relativité avec ce film psychédélique qui aurait gagné à se concentrer sur son sujet, la fin du temps. En effet, le temps est subjectif et on s’en aperçoit avec ce film de presque deux heures, un peu indigeste et quelque peu hypnotique. The End of Time de Peter Mettler.

Gardons le meilleur pour la fin, puisque celui qui obtint le prix Fipresci fut à la fois drôle, énergique et plein d’espoir sur l’humanité : Another Night on Earth, un film de David Muñoz (titre original : Otra noche en la tierra). Bien sûr, la référence au film de Jim Jarmush, Night on Earth (1991), est explicite. Des taxis, la nuit, des conversations. Mais ici, pas de concordance de temps. Nous ne sommes pas à la même heure dans diverses villes du monde, mais au Caire, la nuit, quelque temps après la révolution de la place Tahrir. C’est sans doute pour cette raison que le choix du jury s’est porté sur ce film, après d’ardentes discussions, parce que justement David Muñoz tente de donner une image non conventionnelle et inattendue du peuple de la rue pour comprendre le sens de ce changement de société. L’idée est simple : implanter une mini-caméra à l’avant de divers taxis et filmer tout à la fois le chauffeur de face et les clients à l’arrière ou à côté de lui. Cela donne déjà un intéressant champ/contrechamp car les protagonistes ne se regardent presque pas. Ils sont souvent même face à la caméra, ce qui interpelle d’autant plus le spectateur. Le son est excellent, même si l’image nocturne est souvent déchirée de striures ou de pixels, qui sont certes peu gênant car donnant au film un caractère encore plus documentaire.

Ce qui est aussi intéressant dans le traitement du sujet du film vient du fait que le réalisateur soit espagnol. Il se présente donc un peu comme un Candide, ou plutôt s’est-il inspiré de Montesquieu qui, au XVIIIe siècle, s’interrogeait avec humour et malice sur le fait d’être persan (Lettres persanes, 1721). Comment donc être Égyptien au XXIe siècle après avoir traversé tant de bouleversements et de misère et rester debout, résister, avoir de l’humour. Car ils ne manquent pas d’humour ces cairotes lorsqu’ils parlent de politique, de religion ou même de football. Le spectateur de films documentaires est souvent surpris par l’intelligence de l’homme de la rue et voici pourquoi de plus en plus de jeunes documentaristes filment des quidams en pensant qu’ils vont leur délivrer des pépites. Même s’ils peuvent être déçus, il est toujours intéressant de donner la parole au peuple. Les démocrates qui ont la prétention de nous gouverner feraient bien de méditer sur ce film.

L’hommage, de plus, ne s’arrête pas à Jim Jarmush. Il semblerait bien que David Muñoz soit un grand cinéphile car son film évoque aussi La Chevauchée fantastique (John Ford, 1939), Hitchcock (Une femme disparaît, 1938), la tragédie classique (« un seul temps, un seul lieu, un seul fait accompli ») et peut-être  Mizoguchi (Oyuki la vierge, 1935, inspiré de Boule de suif de Guy de Maupassant, 1880). Par petites touches impressionnistes, il propose non pas seulement une radiographie de la société égyptienne avec ses attentes et ses désillusions, mais aussi une modeste leçon de cinéma en proposant au spectateur de monter dans un road movie nous conduisant au bout d’une nuit incertaine mais pleine d’humour, de résistance et d’optimisme. Mention spéciale à la conductrice de taxi, la seule du Caire, lorsqu’elle allume lentement sa cigarette dans un moment de grande solitude mais surtout de liberté.

Ces films de différentes nationalités ont, pour certains, été primés. D’autres dormiront dans des tiroirs. Combien sortiront en France et quand, et sous quels titres ? Mystère. Comme nos souvenirs, on pourrait se demander alors ce que deviennent les films quand nous ne les voyons pas ? Guettez les sorties parisiennes à tout hasard. Ou allez chiner sur le site du festival, on y trouve des films en streaming.


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