Au coeur de la nuit

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« Au cœur de la nuit » est un morceau d’anthologie du film d’épouvante. Une histoire classique entre raison et hystérie où la science plante le décor contre un surréalisme du paranormal. Film cultissime et modèle insurpassé du film d’horreur psychologique. Amplement plagiée, l’œuvre ressort sur les écrans dans une toute nouvelle restauration 4K. Décryptage….

Un cauchemar éveillé, cyclique et récurrent

La tautologie peut prêter à sourire : le film est un morceau d’anthologie et un florilège, un recueil d’histoires fantasmées tout droit sorties du subconscient de leurs locuteurs.

Projeté dans les salles le 4 septembre 1945 soit à peine deux jours après que la capitulation fût signée par le Japon entérinant la fin des hostilités de la seconde guerre mondiale, Au cœur de la nuit est un film hybride, une sorte d’hapax qui vient coïncider à un point culminant avec le terme des privations et les prémices d’une période de disette qui furent l’ordinaire des britanniques.

De ce point de vue, la structure composite du film reflète la période confuse et l’œuvre a une fonction cathartique qui vise à susciter une évasion hors de la réalité. La longue parenthèse de la guerre et ses exactions et le cauchemar cyclique et récurrent expérimenté par le protagoniste principal matérialisent un réveil avorté, une veille permanente et plus précisément le combat mené pour reprendre connaissance, sortir d’une hébétude généralisée et faire son deuil définitif d’une guerre atrocement lancinante.

 


Un film-valise qui reflète son époque tourmentée

Connus surtout pour leurs comédies grinçantes, des années 50, les studios Ealing célèbrent paradoxalement le terme du conflit mondial non avec une comédie désopilante comme l’on pouvait s’y attendre mais un film-valise combinant plusieurs éléments et styles disparates et mêlant l’épouvante au sous-genre des films de fantôme très en vogue en Angleterre depuis les années 30. On se souvient de l’emblématique La Maison de la mort.

Les studios Ealing enfreignent toutes les règles en usage pour produire ce thriller psychologique. Ces histoires de névroses obsessionnelles se révèlent être le contrepoint parfait au traumatisme des exactions de la guerre dans leur enchâssement.

Il s’agit d’un film qui emprunte à l’épouvante et non au genre du film d’horreur stricto sensu auquel il est assimilé trop communément. Le distinguo s’opère sur la spécificité moins crûment macabre du film d’épouvante dont les ressorts puisent dans une atmosphère intangible de terreur psychique. Dans son acception commerciale moderne, le film d’horreur déviera de son propos initial pour participer d’une représentation souvent gore du morbide. Au cœur de la nuit contient des éléments gothiques que la Hammer développera abondamment une décade plus tard.


Comment sortir le pays de son état d’hébétude et de stupeur généralisées

Le public anglais des théâtres de cinéma en 1945 sortait d’une longue torpeur de six années où il avait
vécu “un cauchemar éveillé”. Hébétés, les spectateurs se frottent les yeux et retrouvent progressivement une conscience collective dans les semaines et les mois après la fin de la guerre. Ils sont proches d’un état de stupeur hallucinée à l’instar du protagoniste central de Au cœur de la nuit, Walter Craig, architecte de son état.

Mandaté pour la rénovation d’un cottage, il est reçu au milieu d’une assemblée d’invités. Muré dans un rêve
étrangement prémonitoire, Craig a une impression de déjà vu dès son arrivée, qui s’intensifie au contact des convives avec lesquels il partage de mystérieuses affinités. Il confie à la cantonade ses sinistres présages et, ce faisant, révèle le rêve circulaire qui relie le groupe et qu’il faut conjurer à tout prix.

Comme dans une séance hypnotique de spiritisme, chacun relate, à son tour, un fait surnaturel ayant affecté son existence. Un psychanalyste jungien, van Straaten, est présent dans la pièce où un feu brûle dans l’âtre. Il tente sans succès de rationaliser ces manifestations du subconscient en exprimant son scepticisme. Il diagnostique Craig comme étant victime d’une psychose obsessionnelle.

La tonalité macabre des histoires relatées monte crescendo en puissance alternant de l’anxiété à la peur irrationnelle, la frayeur et l’effroi.

 


Censure de guerre, freudisme et thèses scientistes

L’abrogation de la censure de guerre envers le film d’horreur en vigueur depuis 1937 au Royaume-Uni va servir de détonateur sans mauvais jeu de mots. En même temps, 1945 est une année-phare pour le freudisme au cinéma. Le personnage du psychanalyste bardé de certitudes scientistes est une caution dans le film et la seule voix de bon sens
qui trouve une explication rationnelle aux hérésies hallucinatoires qu’il observe avec une froideur autant clinique que sarcastique. Par un coup de théâtre et un retournement de situation surréaliste, les thèses scientistes du scientifique sont battues en brèche. L’épilogue du film lui réserve un sort funeste et son scepticisme est la clé de voûte d’un suspense savamment entretenu. Le film lésine sur le sang mais pas sur la chair de poule et le dispositif diégétique à
la Agatha Christie est un archétype du thriller britannique.

Le sommeil troublé et les hallucinations recyclées dans une mise en abîme constante de l’architecte Walter Craig préfigurent les vagues réminiscences de privations de sommeil d’une nation en guerre dévastée par la peur.

Ainsi, l’épisode du miroir hanté répercute-t-il cette hantise. Une femme achète un miroir antique Chippendale à son fiancé avant qu’ils ne convolent en justes noces. Or, le miroir du 18ème siècle a appartenu à l’époque, en première main, à un maniaque contraint au confinement qui étrangle sa femme dans un accès de folie meurtrière dicté par la jalousie.

L’entité invisible continue cependant de rôder dans la pièce, un siècle plus tard à travers le miroir qui, dans
sa perspective fuyante, restitue obstinément l’atmosphère éthérée du décor gothique du XVIIIe. L’épisode répercute la sexualité refoulée du couple contemporain et reconduit la strangulation jusqu’au point extrême de non-retour où la femme rompt le sortilège en brisant le miroir.

Un coureur automobile réchappé de justesse d’une collision mortelle se voit éviter une seconde mort par la révélation prémonitoire du crash d’un bus à plateforme dans lequel il s’apprêtait à monter l’instant d’avant.

Dans sa dernière narration, c’est le psychologue en personne, van Straaten, qui relate l’histoire d’un ventriloque dont l’ego a été dépassé par sa propre création, le pantin Hugo. Possédé par la créature diabolique et dans un dédoublement de personnalité, il finit par tomber dans un état de démence et développe une identification psychotique à sa construction au point d’emprunter sa voix. Sa possession par la poupée qui a pris l’ascendant sur lui le conduit à tuer de rage assassine un éventuel concurrent susceptible de l’évincer. L’exposé du scientifique donne une caution de véracité à sa relation.

Au cœur de la nuit ira jusqu’à influencer un trio d’astronomes, adeptes de la cosmologie, cette science qui interroge les origines premières du monde par la nature circulaire de son intrigue en apportant de l’eau au moulin d’une alternative au big bang, avec la théorie de l’état stationnaire de l’univers.


Au cœur de la nuit est distribué en salles par Tamasa.

Titre original : Dead of night

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