Arènes sanglantes (Blood and Sand)

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Juanillo, fils d’un célèbre matador et frimeur invétéré, tente de devenir le meilleur matador d’Espagne et du monde. Cette course effrénée vers la gloire, la richesse et la filiation distingue les objectifs sportifs et personnels de l’adolescent turbulent. Juanillo organise avec ses amis des corridas. Enfants défavorisés et livrés à eux-mêmes, ils n’ont que leur […]

Juanillo, fils d’un célèbre matador et frimeur invétéré, tente de devenir le meilleur matador d’Espagne et du monde. Cette course effrénée vers la gloire, la richesse et la filiation distingue les objectifs sportifs et personnels de l’adolescent turbulent. Juanillo organise avec ses amis des corridas. Enfants défavorisés et livrés à eux-mêmes, ils n’ont que leur courage et leur rage pour se sortir de la pauvreté. Tantôt anges, tantôt démons, ces jeunes gens garnissent le film d’une kyrielle de postures ou tonalités : le tragique, le lyrique, la trahison, la vengeance, la jalousie… L’ennemi ou le rival peut se révéler être celui sur qui on s’appuie. Manolo, un des fidèles lieutenants de Juanillo, jalouse ce dernier et le provoque en duel pour monter un cheval. L’enchevêtrement de positions, de stratégies face à la tentation, face à la convoitise témoigne d’un égocentrisme et d’une volonté farouche de sauver sa peau avant tout. D’ailleurs, le remake de Mamoulian du film de Fred Niblo n’est pas sans rappeller Los olvidados de Buñuel sur les dégénérescences adolescentes ou infantiles des mexicains pris dans l’étau de la pauvreté et de la démunition. Le monde latin (tradition, religion, liens familiaux compliqués entre la mère et le fils…) y est représenté avec froideur. La pauvreté est le moteur de toute révolte face à une condition. Les deux films accouchent de mêmes scènes comme le mime d’une fausse corrida pour ternir l’humain de pulsions. Le personnage s’élabore sur une double détente entre son humanité et son animalité. Les premiers plans du film entre Juanillo et la tête empaillée du taureau permettent au film de mettre en lumière cette distinction et ce corrélat. De plus, les ombres du début montrent et glissent de façon souterraine la notion de destin.

Les ombres, véritables faux-fuyants, permettent de dramatiser, d’engorger le plan de mysticisme. En ce qui concerne le début du film, elles concrétisent à demi-mot ce que sera la vie de Juanillo : celle d’un matador. Seul le caractère réel et abstrait des ombres intègre avec efficacité le danger d’être blessé ou de mourir qui plane au-dessus de tout matador. Cette fatalité est liée à deux histoires parallèles : la vie de Juanillo est liée au destin d’un célèbre bandit et à celui de la religion. Une manière d’anticiper la fin tragique du torero qui meurt pour sa passion et pour perpétuer la réputation de son père. La présence de la religion œuvre dans le même sens. Il est le martyr sacrifié sur l’autel de la demande sanguinaire du public rendu fou par la danse macabre et euphorisante qu’entretiennent le taureau et le matador lors de leur représentation dans l’arène. L’euphorie s’exalte par la faculté qu’a le matador à repousser la mort qui le fustige du regard à travers les yeux de l’animal enragé. Le matador regarde face à lui la mort et la déjoue jusqu’à une certaine limite… La tache de sang qui intervient après le jet des fleurs lors de l’ultime corrida tend à héroïser à outrance Juanillo. Dès lors, les voiles noirs que portent Carmen, sa femme, et sa mère renvoient à un deuil inévitable. A chaque fois qu’elles enlacent Juanillo dans leur bras, ce dernier, sans le savoir, s’enlace métaphoriquement dans les linceuls de son futur cercueil. La mort revêt plusieurs oripeaux : le taureau mais surtout Doña Sol. Richissime femme aux allures de tentatrice, de mante religieuse pour laquelle Juanillo se ridiculisera et s’oubliera complètement en faisant le taureau pour elle, quittant Carmen pour cette plante vénéneuse.

La couleur la plus utilisée dans le film est le rouge suivi du jaune, comme un rappel coloré au drapeau de la ville de Séville qui est rouge et jaune. Le rouge connote bien évidemment le sang, la souffrance. Mais la pureté, le non parasitage de composant de la palette chromatique renvoie à l’exotisme, au folklore du monde de la corrida : les habits de lumière, le luxe, la passion, les pulsions… Le rouge, les couleurs froides comme le bleu, le vert, le marron seraient sans doute, dans leur utilisation, des réminiscences aux tableaux de Vélasquez. Mamoulian n’hésite pas à incorporer des plans-tableaux dans son film lorsque, par exemple, Juanillo est assis sur son trône de plus grand matador du monde. Le cadre fixe est composé du torero sur la gauche du cadre, légèrement surélevé ; ses collaborateurs, les observateurs sur la droite du cadre. Derrière Juanillo, un rideau bleu qui fait allusion à la composition monarchique du plan-tableau d’un Roi face à sa Cour admirative et hypocrite de son succès. Le bleu du rideau renvoyant aussi certainement à un refus (ou à un décalage) de théâtralité de la part de Rouben Mamoulian.

Arènes sanglantes est une œuvre maîtrisée, intéressante et réussie. Seul petit inconvénient, l’œuvre de Mamoulian anticipe la fin du héros par petites touches dès le début de l’œuvre, la tension s’en trouve quelque peu désamorcée. Pour pallier à cela, l’auteur utilise un montage de plans très rapides, de véritables chocs visuels à la soudaineté meurtrière pour anéantir en une poussière de seconde la vie du jeune matador.

Titre original : Blood and Sand

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Durée : 122 mn


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