Romance normande, le premier film d´Alix Delaporte ne dépasse jamais la chronique naturaliste attendue et manque cruellement d’ambition.
César et Rosalie, Marius et Jeannette… Le cinéma français aime convoquer Marcel Pagnol lorsqu’il s’agit d’imaginer des couples en bord de mer. Angèle restant disponible, Alix Delaporte en a profité pour l’associer à un autre prénom chargé d’histoire, Tony évoquant forcément – malgré son « y » – le film de Jean Renoir. En revendiquant l’héritage de ces deux maîtres, la réalisatrice s’inscrit dans le genre typiquement hexagonal du mélodrame social, porté à son apogée dans les années 30 avec Quai des brumes de Marcel Carné ou Remorques de Jean Grémillon, qui exploitaient déjà la beauté mystérieuse des zones portuaires. Chez Pagnol, Angèle était une jeune mère en rupture avec sa famille. Chez Renoir, Toni était un ouvrier italien venu travailler en Provence. Alix Delaporte s’intéresse également à des êtres blessés, issus de milieux populaires. Clotilde Hesme campe une femme dure et sauvage, qui se bat pour récupérer la garde de son fils après un passage en prison. Grégory Gadebois interprète un marin solitaire et bourru, qui vit seul avec sa mère depuis la mort tragique du père dans un naufrage. Une annonce dans le journal va rapprocher ces héros ordinaires que tout oppose : il cherche une épouse pour adoucir son quotidien, elle veut à tout prix un mari pour fonder un foyer stable et amadouer la juge.
Leur rencontre, au début, tourne court : trop rentre-dedans, Angèle intimide Tony, qui a besoin de temps et de patience pour s’attacher. Mais la jeune femme le poursuit sans relâche et finit par s’installer chez lui, travaillant comme vendeuse sur le marché aux poissons. Ils se frôlent, s’attirent et se rejettent (longuement). Petit à petit, la belle apprivoise la bête – à moins que ce ne soit l’inverse. Après une heure de faux-semblants et maladresses, l’amour pointe enfin le bout de son nez et triomphe de leurs résistances. Alix Delaporte souhaiterait « qu’on vibre avec eux, qu’on soit dans leur désir, que ça nous emporte… » Mais elle filme cette idylle naissante avec une telle retenue que l’émotion ne prend jamais. A force d’être pudique, sa mise en scène oublie de lâcher la bride au romanesque et s’englue dans un naturalisme convenu. Chaque séquence se contente d’enregistrer les gestes et hésitations des personnages, tandis que la caméra s’efface derrière le jeu des comédiens.
Regards butés ou désirants, silences lourds ou complices, Clotilde Hesme et Grégory Gadebois se débrouillent comme ils peuvent – et plutôt bien – pour apporter passion et vérité à cette valse sentimentale. Las, cette vaine chorégraphie paraît artificielle, tant les intentions transparaissent à l’écran. Entre les plans, on jurerait parfois lire les indications du script : « Elle s’avance vers lui. Il détourne la tête… » Le tact cache alors un manque de folie évident, comme si la réalisatrice craignait d’en faire trop. Ici rien ne déborde : lorsqu’une tension naît entre les différents protagonistes, Alix Delaporte la désamorce avec une désinvolture feinte. Tony et son frère, en léger froid, se réconcilient sur un bateau en imitant la voix de leur père. Yohan, le petit garçon d’Angèle, accorde sa bénédiction aux tourtereaux en posant une innocente question sur les crabes. Les sentiments s’expriment toujours de façon détournée, à travers des situations faussement naturelles qui sentent les procédés scénaristiques. Car il ne suffit pas de refuser les dialogues explicites pour se montrer subtil : voir par exemple cette scène assez pataude, dans le couloir du tribunal, où l’enfant multiplie les va-et-vient entre sa mère et ses grands-parents, l’image surlignant ici le propos.
Trop contrôlée, l’écriture d’Alix Delaporte perd rapidement tout son mystère. Nous découvrons progressivement l’identité d’Angèle, dont le passé tient en une valise remplie de secrets. En suivant cette femme déterminée, qui avance tête baissée, dents serrées et poings fermés, la cinéaste louche fortement du côté des Dardenne – qui de Rosetta en Lorna ont souvent filmé des héroïnes opaques et peu aimables. Mais si les deux frères cultivent eux aussi le non-dit, ils n’hésitent pas à jouer à fond la carte du symbole, parsemant leurs œuvres d’allusions religieuses ou mythologiques. A l’inverse, Alix Delaporte ne donne pas la moindre ampleur à son récit et s’en tient à une vague étude de caractères, y greffant simplement une dose de néoréalisme, via quelques scènes de grève (au demeurant ratées) ou d’excursion en mer. Le film dégage ainsi une modestie bien sage et se love dans le ventre mou d’un cinéma français trop lisse et formaté, sans urgence ni proposition nouvelle.
Pietro Germi figure un peu comme l’outsider ou, à tout le moins, le mal-aimé du cinéma italien de l’âge d’or. Et les opportunités de (re)découvrir sa filmographie -telle la rétrospective que lui a consacré la cinémathèque française en octobre dernier- ne sont pas légion. L’occasion de revenir aux fondamentaux de son cinéma enclin à la dénonciation sociale. Rembobinons…