An American Haunting

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Faux « film de trouille » ou film moraliste ?

Basé sur la légendaire histoire de la sorcière Bell du Tennessee, American Haunting raconte comment, pendant plusieurs années, un Esprit maléfique s’en est pris à une famille respectable et prospère de l’Amérique profonde. Ou comment sur un canevas de maison hantée pondre un discours lénifiant sur les rapports incestueux. C’est une première dans le cinéma fantastique. S’appuyant sur un livre relatant une sombre histoire d’esprit malveillant, le réalisateur Courtney Salomon propose une interprétation toute personnelle de l’explication du phénomène. Exit donc les cimetières indiens et les gris-gris vaudous, idem pour les revenants et autres protoplasmes hideux. A tout évènement occulte une explication rationnelle se doit d’être énoncée. Et autant dire que Salomon fait ici dans l’inédit.

Bénéficiant d’un scénario assez simple, les protagonistes nous sont présentés rapidement lors d’une soirée dans la demeure familiale pour basculer le temps d’une partie de chasse dans l’étrangeté fantomale, la mise en scène ne s’embarrasse pas de mise en situation pompeuse.

Tout le film est axé sur la jeune Betty et sur sa famille qui, à l’instar de la famille Lutz dans Amytiville de Stuart Rosenberg, subissent la présence d’une entité invisible. Nous avons ainsi le droit aux chuchotements et voix spectrales de rigueur qui fonctionnent merveilleusement bien grâce à un Dolby qui prend ici toute sa signification. Et si le réalisateur a quelques difficultés à renouveler les scènes de possession dans la chambre de Betty, elles n’en restent pas moins efficaces par l’usage d’une caméra aérienne et d’effets spéciaux traditionnels qui ont donné ses lettres de noblesse au genre ; les fenêtres s’ouvrant violemment, les bougies qui s’éteignent et la couverture d’un lit qui disparaît. Sans oublier l’usage de la caméra subjective donnant consistance à l’invisible.

Salomon arrive ainsi à faire frissonner en postulant sur l’imaginaire du spectateur. Rien n’est plus efficace en effet que de filmer une porte entrouverte et de laisser au spectateur le soin d’imaginer ce qui se passe derrière. American Haunting prend donc le pas sur une œuvre telle que La Maison du diable de Robert Wise, monument de terreur psychologique où le cinéaste donnait le vertige en ne filmant qu’un pan de mur. La peur, pour être efficace, ne doit jamais être montrée mais suggérée.

Le film jusque là fonctionne parfaitement et, en dépit de quelques longueurs, fait honneur au genre. Mais les félicitations s’arrêtent là. Car en l’espace de deux minutes, il ne reste alors que cinq minutes avant la fin, Salomon bafoue l’identité de son film et plonge toute son histoire dans une explication de psychanalyste « à la Mireille Dumas » absolument grotesque et indéfendable.

Pour le réalisateur, si la jeune fille est la proie de ce mystérieux esprit, cela n’est que la conséquence d’un trauma familial ignoble. Nous pourrions même dire qu’elle somatise et que sa possession n’est que la matérialisation du crime dont nous tairons la nature. Salomon, en une scène, ridiculise alors le film de maison hantée et nous livre un pensum démagogique indigeste.

Il est préférable de revoir le film de Wise ou de se plonger dans l’ambigu film de Lucile Hadzihalilovic Innocence sur les traumas d’enfance, que d’assister au faux « film de trouille » et au vrai film moraliste qu’est American Haunting.

Titre original : An American Haunting

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Durée : 93 mn


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