Deux films en un : l´un bon, l´autre moins. Qu´importe, c´est le meilleur qu´on garde en mémoire. « Adieu Falkenberg » : promesses d´un cinéaste en devenir ?
Adieu Falkenberg est vendu à tort par son réalisateur comme une sorte de « Mes copains d’abord ». Tourné en 2003, à vingt-cinq ans, le Suédois Jesper Ganslandt fixe sur pellicule un instant de sa vie avant son effacement, avant que l’instant ne devienne souvenir, une sorte de dernier été avant l’âge adulte. Album générationnel fictionnel, Ganslandt et sa bande jouent leurs propres rôles, ou plutôt des rôles accentués par quelques traits de caractère, le film fonctionnant comme un miroir grossissant de leur être, un zoom psychologique.
Logiquement le film adopte la forme du home movie, genre auquel il appartient d’ailleurs en partie. Outre le fait qu’il soit inspiré de personnes et d’événements réels et personnels, Adieu Falkenberg fait régulièrement intervenir des photographies d’enfance ou des films de famille dont il possède un aspect similaire : basse résolution de l’image, cadre flottant, tournage sur le vif, absence de narration… Cette suspension de la narration est d’ailleurs l’une des idées maîtresses du réalisateur pour son film, et par extension de la jeune génération suédoise. Fredrick Wenzel, co-scénariste et directeur de la photographie, déclare ainsi : « Nous nous dirigeons vers une nouvelle façon de raconter des histoires, et je pense que le public est prêt à faire sa part de chemin… A visionner des histoires qui exigent d’eux une part de réflexion et ne suivent pas servilement les mêmes vieux schémas narratifs qui prévalent depuis si longtemps. » Le film se construit donc sur une apparente absence de récit au profit de moments particuliers, d’errance autour des personnages entre désœuvrement de certains et combines minables d’autres.
Dépassé le stade du possible attachement générationnel, d’une éventuelle identification à cette jeunesse coincée dans un éternel présent, celui de leurs quinze ans et quelques, le film peut apparaître délibérément narcissique (« ma vie, mes potes ») et révéler un cruel manque d’intérêt, ce qui est le cas de certaines séquences. Pourquoi Adieu Falkenberg n’est-il pas seulement un objet autocentré qui ne parlerait qu’à ses seuls auteurs, ce qui faisait en grande partie les défauts d’un Lenny and the kids par exemple (Joshua & Benny Safdie, 2010) ? Tout simplement, à cause de la trahison, consciente ou non, par Ganslandt de son pacte de non-narration. Autant il refuse le récit et revendique une dissémination de scènes ponctuelles sans véritables liens narratifs, autant la réussite et la beauté du film résident dans le recours à un personnage comme fil rouge, ficelle structurelle ultra-classique s’il en est et aussi fortement constitutive du home movie comme journal intime traduit en voix in ou off (Tarnation de Jonathan Caouette, 2004, par exemple). S’insurgeant contre « les règles de la dramaturgie et les histoires qui gâchent la vérité qu’elles renferment », c’est pourtant lorsque Ganslandt y a recours qu’il montre le plus d’émotion et de talent.
« Je vieillis dans cette maison où chaque année devient plus épaisse. »
C’est donc autour du personnage de David (David Johnson) que se construit le film. David est un handicapé social, sorte d’hippie autiste de vingt-cinq ans coincé dans l’esprit d’un adolescent, cousin nordique du Michael Pitt de Last Days (Gus Van Sant, 2005), accroché à son journal intime, pleurant devant un buisson. Le mal être de David va infiltrer tout le film, alors que celui-ci semblait empreint de légèreté au commencement, comme une polarité négative à ses amis, au film que souhaitait faire le réalisateur. David est un corps frêle qui s’épanouit contre les éléments naturels. Aux poses proscrites dans la salle de bain, suivent les élongations de son corps dans la mer ou dans la forêt. Contre l’eau, contre l’arbre, contre l’herbe, le corps revêt un irrésistible besoin de se confronter aux éléments, de faire corps avec eux comme pour attester de leur existence, ou de la sienne. Le corps de David se transfère alors à son journal qu’il met un soin quasi naïf à emballer et lier. Le corps de David, ce sont aussi ses mots, comme le ridicule tatouage qu’il porte sur le bras, un mot gravé en lui. Les mots contre le papier comme expression du corps, mots qui deviendront traces, reliques du corps lorsqu’il aura disparu. Des mots eux aussi frêles et fragiles, issus du corps ils ne peuvent être autrement. Si certains des autres personnages semblent absents à la vie, divorçant du présent, David paraît lui bien présent, trop présent. Une présence qu’il ne parvient pas à dissoudre dans le contact humain. Si la chaleur des relations est diffuse, le contact physique semble le grand absent du film. Les rares moments où il advient en deviennent presque choquants et facilement sur-interprétables. Le personnage de David reflète un être relié au naturel, mais impossible à unir de façon tangible à l’humain.
Adieu Falkenberg contient deux films, celui qu’a voulu faire Jesper Ganslandt et celui qu’il a réellement fait. Le second est incomparablement supérieur et marque peut-être la naissance d’un réalisateur qui, s’il se déleste de certains jugements hâtifs de grand adolescent, peut parvenir à explorer ce qu’il transmet le mieux : le sentiment et le profond trouble d’être au monde. Son second long métrage de fiction The Ape, sorti en Suède en 2009, apportera peut-être des éléments de réponse.
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