Absence de Malice (Absence of Malice, 1981)

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Ce subtil thriller politique, interrogeant la responsabilité des journalistes, n’a pas la même notoriété que certains des « grands films » de Sydney Pollack. Il est pourtant prémonitoire. Et… avec Paul Newman !

Certains sauts dans le temps donnent davantage le vertige que d’autres. Ainsi lorsque l’on s’avise de revoir le subtil thriller politique qu’est Absence de malice, réalisé pourtant il y a peine 30 ans (en 1981) par Sydney Pollack. Pas nécessairement son film le plus célèbre, en dépit d’une distribution avantageuse, voire irréprochable (Paul Newman, Sally Field). Mais pas forcément, non plus, le moins intéressant. Ne serait-ce que pour sa valeur prémonitoire sur les conséquences du "scoop à tout prix", quelle que soit la vérification de l’info… Hier (la grande presse écrite, peu ou prou d’investigation) éclairant aujourd’hui (la presse à scandale, oscillant entre faits divers et people) et préfigurant demain (le "journalisme citoyen" d’internet) : les eaux de Miami, celles-là même qui abritent cette histoire de manipulation et de vengeance, sont beaucoup moins quiètes et rafraîchissantes qu’elles ne le semblent de prime abord….

Au fait, pourquoi une notoriété plus… discrète, sur la durée, en regard des pics critiques et publics que sont toujours On achève bien les chevaux, Les trois jours du Condor ou Tootsie (sorti en salle un an plus tard) ? Sans doute parce que ce début des "golden eighties" a été marqué, aux Etats-Unis, par l’installation triomphante de la droite reaganienne au pouvoir, donc par l’essor de la suprématie des idées néolibérales. Un long métrage estampillé démocrate (Pollack-Newman-Field, à "gauche" toutes), interrogeant la morale et ses dérives – aussi bien du côté de la justice et de la police que de la presse – voilà qui n’était guère "tendance" ! En outre, le genre du thriller politique, formidablement inconfortable et ambigu, donc raccord avec l’Amérique des années 70 secouée par la guerre froide, amorçait une sorte de déclin au cinéma (déclin provisoire, mais chut…). Du coup, cet Absence de malice – qu’il aurait été plus juste de traduire par "Sans malveillance" – a été apprécié en son temps bien sûr, son scénario et sa facture étant imparables de maitrise (une poignée de nominations aux Golden Globes et Oscars). Puis un tantinet éclipsé.

Fin

Une nouvelle vision aujourd’hui n’en est que plus salutaire. D’abord parce qu’elle nous rappelle que l’efficacité d’un thriller ne se noue pas seulement autour d’un montage stroboscopique, martelé de musique percussive, déchaînée et omniprésente… Doucement mais sûrement, il y a à peine 30 ans, donc, Pollack et ses acteurs parvenaient à composer un face à face d’autant plus percutant, lui, qu’il n’était jamais manichéen. Ainsi, à chaque seconde de ces 1 heure et 52 minutes, le doute s’infiltre dans les tours et détours multiples de ces figures, à la fois pions et pièces maîtresses d’une trouble enquête sur l’assassinat d’un leader syndical. Sur la forme, cette façon de ne jamais stigmatiser un personnage plus qu’un autre est incroyablement… dépaysante. Et captivante. Elle rend d’autant plus fortes deux scènes pourtant archétypales du genre.

A savoir une scène d’affrontement physique – limite viol – entre Paul Newman (acteur-gentleman que l’on n’associe guère à cette violence, d’ordinaire) et Sally Field. C’est alors, d’ailleurs, que la vengeance tout autant qu’une improbable histoire d’amour se mettent en place entre cette journaliste et ce fils d’un trafiquant d’alcool…. Et c’est dire la richesse des situations et la finesse du regard puisque l’on y croit ! Et puis, dans un second temps, la scène d’explication-dénouement, où tous les protagonistes sont, comme souvent, réunis dans un même lieu, afin que la vérité éclate. Menée de main de maître par un comédien extraordinaire de présence (Wilford Brimley), qui apparait seulement à ce moment-là, elle parvient à n’être jamais ni bavarde ni confuse – comme c’est trop souvent le cas hélas. Savoureuse au contraire…

Prémonitoire

Reste que si Absence of malice semble aussi saisissant en 2010, c’est pour les questions que ce film pose, déjà, à travers l’écran un rien archaïque de ses ordinateurs mastodontes (très années 80, pour le coup, tout autant que le brushing et le tailleur de Sally Field !). Vertiges… de l’intelligence et du flair vigilant de Sydney Pollack, pour le moins. Qu’est-ce que la vérité en matière de presse et de justice ? La vérité est-elle toujours exacte ? Comment "écrire le vrai" sans pour autant "heurter les gens" impliqués dans cette vérité ? Les conséquences probables de cette vérité doivent-elles empêcher sa publication ? Autant de questions que le cinéaste et son scénariste – Kurt Luedtke, ancien journaliste – posent avec acuité. Prenant à contre pied le mythe du journaliste d’investigation (grande figure de la démocratie américaine pourtant, et de son cinéma), interrogeant la notion de "responsabilité" et mettant en garde, in fine, contre certains articles qui "dénoncent" sans "démontrer".

Attention, Absence of malice ne sombre pas, non plus, dans le film à thèse ! La manipulation, puis la vengeance, qui tissent ses rebondissements scénaristiques empêchent cet écueil démonstratif. En revanche, la candeur par trop "légitimiste" de cette journaliste de 1981 du "Miami Standard" – "le public a le droit de savoir", dit-elle – , la course au scoop, ou la collusion entre la justice et les politiques tels qu’ils nous sont présentés ici annoncent bien les dérives autrement plus inquiétantes de la presse d’aujourd’hui. Encore plus chahutée par les diktats de la vitesse, de l’immédiateté et de l’image à tout prix qu’un média comme internet génère implicitement. A tout bien considérer, le bleu idéal des yeux de Paul Newman plongeant dans le bleu étal de l’océan Atlantique annonce de noirs lendemains. C’est dit : certains sauts dans le temps s’apparentent à des gouffres sans fond.

Titre original : Absence of malice

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Durée : 120 mn


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