Séparé de sa famille depuis 20 ans, le réalisateur taïwanais Elvis Lu rentre chez lui, suite à un appel téléphonique de sa mère, et commence le tournage de ce documentaire sur leurs luttes quotidiennes.
Ce qui commence comme un portrait épineux des griefs intergénérationnels se transforme peu à peu en une note profondément émouvante de réconciliation, la caméra jouant à la fois le rôle de polémiste puis de médiateur. Elvis Lu, le plus jeune fils de la famille, est séparé de ses parents depuis vingt ans. Le patriarche vieillissant a dilapidé la plupart des biens de la famille en jouant. Le frère aîné de Lu est agriculteur, mais aussi un médium qui transmet les conseils des divinités aux fidèles, tandis que sa mère fait des offrandes quotidiennes à l’autel. Souvent seule à la maison, elle confie à son fils cinéaste dans une scène touchante que les statues sont devenues ses amies.
La mère de Lu lui avoue qu’elle a fait semblant qu’il n’existait pas, blessée qu’il réponde rarement à ses appels et ne lui rende jamais visite, même s’il souligne qu’elle n’est jamais venue lui rendre visite à Taipei non plus. Elle a le sentiment de n’avoir « rien accompli en tant que parent » et regrette surtout de ne pas avoir pu cultiver le talent de Lu parce qu’elle a été obligée de travailler de longues heures pour subvenir aux besoins de la famille tout en s’occupant du foyer. Lors de la conversation initiale du film, Lu avait froidement répondu au téléphone en supposant que sa mère avait appelé pour demander de l’argent, et que le vide au sein de la famille est en grande partie dû au problème de jeu chronique du père de Lu, qui l’a vu gaspiller la plupart des biens et des économies familiales, laissant le couple dépendant financièrement de leurs fils pour subvenir à leurs besoins. Le frère de Lu ressent également un certain ressentiment envers leur père presque silencieux, révélant qu’il ne veut pas faire à son fils ce que son père leur a fait en ne leur laissant que des déceptions. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est toujours à la recherche de nouveaux moyens de subvenir aux besoins de la famille et s’est récemment lancé dans l’agriculture. La question évidente lorsque sa récolte de tomates est détruite par les inondations est de savoir pourquoi il n’a pas demandé conseil aux dieux en premier. Il s’avère qu’il l’a fait. Comme le souligne Lu, la famille a enduré de longues années de souffrance malgré leur piété. Si son frère est vraiment si proche d’eux, pourquoi ne les ont-ils pas aidés ? C’est une question à laquelle il n’a évidemment pas de réponse, pas plus qu’il n’en a quand son fils le supplie de demander conseil aux dieux sur la suite à donner au champ de tomates en ruine. L’expression douloureuse de son frère laisse entendre qu’il pourrait avoir des doutes malgré sa capacité à parler aux dieux dans son travail de médium qui dispense des conseils sur les investissements et d’autres soucis plus terrestres contre une petite donation. L’étage supérieur de la famille abrite un grand autel avec plusieurs statues des dieux que sa mère décrit comme ses seuls amis pendant la période où ses deux fils et son mari étaient absents de la maison familiale. La mère de Lu est petite et maintenant un peu avancée en âge. Les escaliers lui paraissent difficiles, et pourtant elle les monte chaque jour pour rendre hommage aux dieux.
Lu pose fréquemment des questions étonnamment franches à sa famille, demandant par exemple à sa mère pourquoi elle ne lui a jamais rendu visite à Taipei. Une telle franchise n’est peut-être rendue possible que par l’acte de filmer, qui fait ainsi ressortir des sentiments qui restent généralement non exprimés. Au fil du documentaire, le manque de sympathie de Lu pour les croyances de sa famille (« Penses-tu que les dieux ont aidé notre famille ? » répond Lu lorsque son frère lui demande ce qu’il espère apprendre en filmant la famille et leur attitude envers la religion populaire. « Ou bien, existe-t-il vraiment des dieux ? ») s’adoucit en une acceptation compatissante des défauts de ses parents. L’amour filial, comme toute autre relation, est une question de compromis. Et d’empathie.
Le film est constitué majoritairement de plans fixes, grâce auxquels le réalisateur pose des questions, décrit la vie quotidienne, filme la délicate montée des marches entreprise par sa mère afin de communiquer avec les dieux, mais pose également les silences. Une des qualités de ce documentaire réside alors dans son aspect introspectif via la démarche personnelle du réalisateur. Au fur et à mesure du film, il s’implique de plus en plus dans l’image et les paroles. Les petites phrases qu’il lance hors du cadre pour tromper sa famille s’estompent, et il apparaît de plus en plus dans le cadre, interagissant de plus en plus avec ses proches. Progressivement, une deuxième caméra est utilisée. Alors, la peur de la mort délie les langues, et quelques instants de retour sur le passé – le mariage des parents, leur enfance, les raisons du départ d’A-Liang – permettent à chacun d’exprimer ses regrets. La fracture familiale du début du film se dissout peu à peu, laissant place à l’apaisement. Le spectateur devient le témoin de ce bouleversement, comme de nombreux moments de grâce, telle ces cérémonies dans la communauté au cours desquelles les gens prient les dieux pour la santé et la prospérité, suggérant le sens de la communauté est peut-être plus important que les rituels eux-mêmes, ou des scènes de culture dans les champs de tomates.
Intime et personnel, A Holy family évoque les difficultés de la vie à la ferme, les différences intergénérationnelles concernant les rapports avec les rites, mais développe aussi la constatation que le temps que nous passons avec nos parents n’est jamais aussi long qu’on pourrait le croire. Question de culture et de compréhension.