24 mesures (Jalil Lespert – 2007)

Article écrit par

A sa sortie en décembre 2007, « 24 mesures » avait reçu un accueil mitigé où l´on attaquait notamment une construction scénaristique et des protagonistes trop caricaturaux. Pourtant, le premier (long) opus de Jalil Lespert avait réussi un tour de force en réalisant avec brio le pari initial : << composer >> son film comme un morceau de free jazz.

Le schéma de quatre destins croisés, de quatre personnages radicalement différents et presque tous figés dans un archétype, devenait la partition rigoureuse et les quatre instruments bien distincts avec lesquels le cinéaste allait pouvoir écrire sa « musique » : partir d’une structure de départ, de gammes, d’accords connus, pour ensuite composer librement, et selon la rage et la sensualité qui anime le « musicien ».

Jalil Lespert travaille au corps les personnages qu’il filme et leurs trajectoires : sa caméra intrusive les suit, les devance, toujours à fleur de peau, tout près de l’épiderme, nous faisant ressentir cette vie organique du corps en mouvement , du corps qui souffre, qui sue. Comme dans le free jazz, c’est le corps qui est la base de tout, qui impulse son rythme, son intensité, son émotion ; le corps et, comme l’instrument, ce qu’il émet, ce qu’il communique: le long fou rire, lors de la scène dans la chambre d’hôtel, entre les trois personnages rencontrés par hasard, emplit soudain la pièce, le cadre, et retentit alors comme l’explosion finale, la cacophonie heureuse du trio musical à bout de souffle, à bout de force. Le rire est la plus belle des musiques, semble nous dire le cinéaste, la plus significative aussi, car elle est celle qui dit l’absurde, le soulagement.

Jalil Lespert expérimente également la dissonance, la rencontre imprévue et parfois non harmonieuse de deux entités, deux notes, deux vies. Comme dans l’improvisation en jazz, cette dissonance élève parfois l’âme, comme elle peut faire grincer atrocement les dents (le suicide de Magimel), nous laissant un goût amer dans la bouche.

L’éloignement, le rapprochement, la distorsion des corps dans l’espace témoignent d’un véritable travail sur l’élasticité de la matière cinématographique et de ses potentialités. Comme lors de la scène de la boîte de nuit où les personnages, filmés de très près, se meuvent avec fluidité et se rencontrent, s’entrechoquent avec douceur, dans une chorégraphie apparemment aléatoire où chaque « atome » vient se cogner, se greffer à un autre ; où la rencontre imprévue, inconnue, incontrôlée de « notes » interpelle les oreilles, la vue, les sens pour leur faire goûter l’infinité des « accords » possibles entre les individus.

Si certains n’ont vu que les écueils, et donc les faiblesses, d’un scénario, d’un schéma trop référencé, de personnages trop archétypaux, c’est qu’ils sont passés à côté de tout l’intérêt et la raison d’être de ces 24 mesures : une explosion de sensualité noire qui annonce un véritable talent de cinéaste. Car c’est incontestable, Jalil Lespert entreprend ici une vraie démarche, un vrai geste cinématographique.

  DVD MK2 Editions   19,99 euros    Sortie le 21/08/08


Titre original : 24 mesures

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 82 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…