14e Semaine du Cinéma Russe à Paris – Bilan

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À la 14e Semaine du Cinéma russe à Paris, les films des réalisateurs débutants sont ignorés par le public.

La 14e Semaine du Cinéma russe à Paris – Regards de Russie – s’est terminée le 15 novembre dans trois salles de cinéma du réseau « Les écrans de Paris » : L’Arlequin, Le Majestic Passy et Le Reflet Médicis. En présentant uniquement le cinéma russe contemporain datant des deux dernières années, la Semaine a accueilli 4545 spectateurs. Le plus grand agiotage était provoqué par le film de Kyrill Serebrennikov, Le Disciple, sélectionné à « Un Certain regard » au festival de Cannes et un film-almanach Saint-Pétersbourg, Seulement par amour, composé de sept courts métrages réalisés uniquement par des femmes réalisatrices.

Le succès de Saint-Pétersbourg

D’ailleurs, ce dernier a collecté le plus grand nombre de spectateurs venus le voir en salle de « L’Arlequin » (capable d’accueillir jusqu’à 395 spectateurs) : selon le rapport des organisateurs 745 spectateurs se sont présentés pour ces deux séances. La salle était remplie à tel point que les retardataires, ne pouvant trouver de places dans l’obscurité, étaient obligés de s’asseoir directement par terre le long des murs. On peut seulement deviner pourquoi ce film en particulier a trouvé tant de succès auprès du public. Probablement en raison de son titre qui évoque le nom de la ville connue du spectateur français et fait naître de la nostalgie chez les immigrants russes ? Probablement, parce dans cette belle collection de films courts tous les goûts se mélangent, et « même s’il y une histoire qui vous déplait, vous en trouverez sûrement une autre que vous aller adorer », d’après le commentaire d’Oxana Bytchkova, la réalisatrice d’un sketch intitulé Le Matin, venue pour présenter le film. Les spectateurs étaient nombreux à venir à sa rencontre. Oxana Bytchkova est aujourd’hui l’une des réalisatrices russes les plus connues en Russie grâce à son premier film Piter FM (Piter – c’est ainsi que les russes ont l’habitude d’abréger le nom de Saint-Pétersbourg), une véritable bombe au niveau national.

 

Saint-Pétersbourg, seulement par amour, collectif de réalisatrices

L’almanach, réalisé à l’instar de Paris, je t’aime (2006), relie les sketchs par son lieu de tournage. Les producteurs ont imposé aux réalisatrices l’interdiction d’échanger sur le contenu de leurs scénarios. Ainsi le mensonge, comme un meilleur moyen de procéder surgit dans plusieurs court-métrages, y compris dans celui de Bytchkova, mais surtout le thème d’amour qui arrive souvent inattendu et qui se présente sous différentes formes : entre les mères et leurs filles, entre les inconnus qui se rencontrent sur un arrêt de bus ou dans un parc en promenant leurs chiens, dans le passé des grands écrivants et des empereurs qui hantent la Venise du Nord parmi ses lions majestueux sur les quais de Fontanka, Moïka et Neva.


La découverte d’Insight

L’une des plus belles découvertes de La Semaine est Insight de Alexandre Kott. Ce réalisateur talentueux qui a littéralement fait trembler la salle au Reflet Medicis deux ans auparavant avec son chef-d‘oeuvre Le Souffle. Alexandre Kott marie vertueusement les genres multiples faisant des films « d’art et d’essai » mais également des séries télévisées et des films mainstream, comme son sketch pour une comédie thématique, destinée à une très large distribution nationale celui de Les Sapins de Noël – 2 » (2011), ou encore son film d’un grand format sur le thème de la Grande guerre patriotique La Forteresse de Brest (2010). Dans Le Souffle, Kott faisait l’expérience pure du langage cinématographique en racontant son incroyable histoire sans utiliser de parole. Dans Insight son personnage principal est un jeune homme, Pavel, un ouvrier dans une usine provinciale russe, qui perd soudainement la vue. La mise en scène est réfléchie et juste, les surcadrages claustrophobiques, la longue focale avec ces angles très étroits et peu de profondeur de champ attestent de la réalité qui se resserre autour de lui jusqu’à l’espace de son vieil appartement et l’emprisonne dans sa cécité à la fois physique et mentale. Les couleurs verdâtres et la lumière froide finement sculptée soulignent sa solitude et son profond désarroi. Sans parler du scénario qui était spécialement écrit par le réalisateur pour la comédienne Agrippina Steklova.
 

 Insight de Alexandre Kott

Elle incarne une infirmière, Nadejda – une belle femme rousse désirante d’avoir un enfant mais incapable de le concevoir avec son mari. Entre Pavel et Nadejda (ce qui, d’ailleurs, en russe signifie « l’espérance ») se noue une histoire d’amour touchante mais improbable: avec ce jeune homme aveugle, elle essaie de réaliser son rêve d’être mère en lui donnant à manger à la cuillère, en l’habillant et le déshabillant, en lui tenant la main dans la rue, en lui racontant des histoires et en lui réapprenant la vie toute entière. Il n’est pas étonnant qu’au moment où Pavel, renforcé par les sentiments d’amour, s’avère d’être fort d’esprit et revendique sa capacité à continuer d’être un homme adulte et mature, en rejetant ses soins maternels – Nadejda se trouve mitigée dans ses sentiments. Insight est un film brillant, émouvant, ayant beaucoup de couches sémantiques.

La Semaine de Cinéma russe a également présenté deux films débutants. L’un est celui d’Olga Veremeïeva et Alena Demidova – La soif du vent – un film expérimental mélangeant le documentaire et la fiction sur un voyage spirituel à Bouriatie (une des républiques russe, bordant le lac du Baïkal). L’autre – Le Terrain de foot – d’Edouard Bourdoukov, sur un thème du street-foot, pour la première fois abordé au cinéma russe. Les deux ont été beaucoup moins sollicités par les spectateurs de la Semaine et le nombre de places vendues pour chaque film n’atteignait pas la cinquantaine. Ceci reste tout de même un bon résultat mais prouve que le public parisien se méfie de nouveaux noms et continue de choisir les films dont les réalisateurs ont déjà une filmographie considérable et reconnue.

Image d’en-tête – Le Disciple, Kyrill Serebrennikov


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