West Side Story

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A l’occasion de la sortie du West Side Story (2021) de Steven Spielberg, retour sur la lumineuse noirceur du film culte de Robert Wise et Jerome Robbins (1961).

Difficile d’évoquer West Side Story sans abuser à la fois de superlatifs et d’oxymores. Il demeure en tout cas que ce film adapté de « Roméo et Juliette » marque un indémodable tournant dans l’histoire du genre, et ouvre bien des portes sur ce qu’une comédie musicale peut être. Une alchimie magique a eu lieu, quelque part, entre, au départ, la pièce de William Shakespeare, la légendaire musique de Léonard Bernstein, le perfectionnisme et la modernité jumelées de Jerome Robbins, alliées, enfin, aux préoccupations sociales et au talent de metteur en scène, aussi sous-estimé qu’impressionnant, de Robert Wise – sans oublier bien sûr l’irradiante Natalie Wood.
La légende multipliée par la légende additionnée à la légende, ça commence à faire beaucoup de légende. C’est exactement ce qu’est West Side Story : un pur morceau d’anthologie à l’aura inaltérée, et une idée assez proche de ce à quoi peut ressembler la perfection en art. On sait que les grandes œuvres se nourrissent avec gourmandise d’oppositions et de contradictions en tous genres. Elles fourmillent ici, puisque la tradition se mêle à l’avant-garde, la joie euphorique à une tristesse des plus aiguës, l’abstrait au concret, et la sublimation à une peinture sans fard…
Fidèle à ses préoccupations sociales – Le coup de l’escalier parle également de racisme -, et ses nombreux films de groupe – tel que Nous avons gagné ce soir – le metteur en scène Robert Wise sert à merveille un propos qui questionne la communauté et l’immigration sur fond de racisme. La célèbre chanson « I like to be in America » confronte ainsi tour à tour les deux faces du rêve américain. Les filles puertoricaines vantent le confort et les atouts pratiques de la société de consommation américaine des années 1950, tandis que le groupe des garçons puertoricains, mené par Bernardo – le frère de Maria (Nathalie Wood) épinglent avec sarcasme la précarité et les promesses mensongères d’égalité pour tous, dans l’écrin des paroles écrites avec tact par le librettiste Stephen Sondheim.
De manière intelligente et fine, la mise en scène de Wise insiste sur l’importance du groupe, de la communauté, en privilégiant les plans d’ensemble avec de (très) nombreux personnages et en insistant clairement sur la difficulté à faire fi des divergences, des ineffables et tragiques différences qui clivent et obèrent l’amour de Maria et Tony, aussi intense que voué à l’échec, chacun des deux gangs ennemis dont ils font respectivement partie se montrant prêt à annihiler l’autre, pour grignoter un morceau de terrain et affirmer son pouvoir. L’élégance des chorégraphies travaillées avec acharnement et grand talent par Jerome Robbins et ses danseurs s’associe à la violence accrue des affrontements et de ce qui est en jeu : le vivre-ensemble, la cohabitation d’ethnies différentes au sein d’une même société, et d’insolentes amours qui entendent braver d’immémoriaux clivages. Le propos est universel autant qu’intemporel et acquiert, par la puissance du langage de la danse et grâce à la virtuosité des chorégraphies proposées, une ampleur encore largement exacerbée.
Social, passionnel, noir et lumineux, ébouriffant de virtuosité, West Side Story a fait date dans l’histoire du genre en se plaçant à rebours des  comédies musicales antérieures comme celles avec Fred Astaire et Gene Kelly, auxquelles on pouvait reprocher de proposer une vision très sucrée de la vie. Ici, comme avec Fred Astaire, « l’amour vient en dansant« , mais la violence, la mort, la discrimination raciale et les guerres de gang autant viscérales qu’haineuses ne se terrent pas très loin. On y chante, les amours paraissent enchanteresses, puis vient, de plus en plus tragiquement, un grand désenchantement, déjà annoncé par une séquence d’ouverture pourtant très entraînante simultanément. L’artificialité des chorégraphies et de plusieurs décors, le fait de se  mettre subitement à chanter sert ici à révéler des réalités peu reluisantes et épingler des mensonges. Comme a écrit Jean Cocteau, et West Side Story l’illustre brillamment, « l’art est un mensonge qui dit la vérité« .

Titre original : West Side Story

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Durée : 152 mn


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