Avec Voiture de luxe, Wang Chao clôt sa trilogie consacrée à la Chine dont les deux premiers volets étaient L’Orphelin d’Anyang (2001) et Jour et Nuit (2005). Voiture de luxe a remporté le Prix de la section « Un Certain Regard » lors du Festival de Cannes 2006.
Il y a 40 ans, suite à des propos contre-révolutionnaires tenus en pleine révolution culturelle, Li Qi Ming a été « mis à la campagne ». Instituteur depuis, il revient à Wuhan, métropole en pleine mutation, pour retrouver la trace de son fils que sa femme malade souhaite revoir avant de mourir. Il est accueilli là-bas par sa fille, Li Yan Hong, qui le met en contact avec un vieux policier prêt à l’aider dans ses recherches. Il sera accompagné dans son voyage par ces deux personnages ainsi que par He Ge, le petit ami de sa fille.
A travers ce drame familial, c’est un véritalbe tableau de la société chinoise que nous livre ici le réalisateur. Par le père et la fille, ce sont deux Chine qui se confrontent et tentent de se comprendre, en vain. On perçoit nettement l’écart existant entre ces deux générations, qui se double d’une séparation entre les gens de la campagne et ceux de la ville.
Li Qi Ming, naïf et « pur », semble encore préservé des effets avilissants de la ville. C’est par sa fille qu’il se rend compte des réalités qui font le quotidien de la vie à Wuhan. La corruption y est quasi omniprésente. L’argent régit les relations sociales. Chacun se prostitue, à sa manière, pour vivre ou survivre, chacun vit pour soi dans un monde où l’entraide a disparu. La solidarité est devenue un acte extraordinaire, et ce vieux policier bientôt à la retraite qui se plie en quatre pour aider Li Qi Ming à retrouver son fils fait figure d’exception. Une complicité forte naît entre ces deux personnages de la génération précédente. Complicité qui ne peut plus exister entre ceux de la génération actuelle où l’individualisme fait la loi.
Loin des traditions, les enfants quittent leurs parents pour aller tenter leur chance en ville où ils perdent parfois pied, comme c’est le cas de Li Yan Hong, sublime ange salie par la ville et ses individus, transformée en prostituée dans un karaoké de luxe dont son fiancé est le propriétaire. La vitrine urbaine, qui leur paraissait tout d’abord belle et pleine de possibilités, laisse peu à peu place à la noirceur des relations qui s’y nouent. On assiste alors à la triste désintégration de la famille chinoise qui laisse partir ses enfants, irrémédiablement confrontés à un monde dont ils ne connaissent pas les règles et qui finira par les détruire. Portrait d’une société chinoise où parents et enfants prennent des routes opposées mais se rejoignent sur le chemin de la tristesse et de la solitude.
C’est à travers les yeux de Li Qi Ming que Wang Chao nous livre ce constat sombre et sans appel. La Chine s’est pervertie au fil des années. Ses enfants se perdent dans les dédales de cette nouvelle époque qui vacille entre individualisme, corruption, cruauté et criminalité. A l’écran, cela donne un film d’une grande beauté, esthétiquement sublime. Les nombreux silences et regards appuyés traduisent admirablement bien les non-dits qui traversent la relation entre un père un peu perdu, pris de vitesse, qui ne comprend pas ce « nouveau monde », et une fille honteuse qui a assume de moins en moins bien ce qu’elle est devenue et la vie qu’elle mène. Les plans qui se succèdent montrent ainsi une ville qui n’en finit plus d’engloutir chacun des personnages. Triste mélancolie.