Versailles-Chantiers – version interminable

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Le titre reste le meilleur indicateur de l’intrigue et de l’intention de l’auteur. « Versailles-Chantiers version interminable », épisode de la trilogie des gares, sous-divisé en 6 épisodes, ausculte les dérives burlesques de Monsieur Albert JeanJean, avant de conclure par la volonté d’Exclure l’Indécision.

Versailles-Chantiers ou Albert Jeanjean : l’histoire d’un mec ( forcené d’indécisions)

Coffret Why Not Productions

Versailles-Chantiers est le nom de la principale gare de Versailles mais reste aussi l’intitulé d’un concept filmique. En 1991, Bruno Podalydès lance les aventures de Monsieur Albert JeanJean, personnage influencé par Woody Allen mais où le névrosé et l’hypocondriaque auraient changé de peau pour celle de l’indécis. En attendant le nouvel épisode Bancs Public (Versailles Rive Droite), Why Not Production édite le coffret des six épidodes s’incrivant dans la trilogie des gares. (Versailles Rive Gauche, Versailles-chantier et Bancs Publics-Versailles Rive droite). Accompagné d’un livret de photographies de tournage multipliées sur une page (décevant), le coffret souffre de l’absence d’inteview de l’auteur ou d’un documentaire pour saisir l’enjeu et l’ambition d’une oeuvre « interminable », déceler le sens d’une oeuvre générationnelle. A défaut de se tourner vers d’improbables explications, on se contentera du film qui toutefois parle de lui-même, étant suffisament riche de discours réfléchis, d’imageries incongrues et de situations hilarantes.

 

Ce, ou ces, films de Bruno Podalydes, à l’image de l’incertitude quant à l’emploi du pronom, s’articule(nt) autour de deux thèmes : la fragmentation sociale et spatiale comme poursuite d’une cohésion commune. Faut-il parler de singularité ou de pluralité ? En réalité, les aventures de Monsieur JeanJean évoquent l’unicité et le chemin à parcourir vers le retour à soi-même et à un tout cohérent. Dans ces épisodes s’entrechassent deux thèmes communs, explicités dans le titre : Versailles-Chantiers. Il semble que l’objectif de Bruno Podalydes ait été de convertir la singularité vers le collectif, infléchir le chemin de l’indécision vers la sérénité et la concrétisation. Tout cela s’expose dans le titre, où la ville de Versailles est progressivement, en 6 épidodes, reliée au chantier achévé ou du moins apaisé d’Albert Jeanjean. Les aventures de ce personnage récurrent s’apparentent à un système dérivatif, trajet sous forme de purge et de détournement des indécisions.

La ville, en premier lieu, est réduite à l’appartement d’Albert Jeanjean, exigu et sobrement décoré, chambre de bonne élargie de célibataire grand enfant. Sans doute pour mieux saisir le personnage et pour ne pas se laisser engloutir par la représentation urbaine, Bruno Podalydès esquisse un trentenaire réversible entre le choux et la fleur, avide de soliloques et d’atermoiements. En évitant le pathos et la compassion, c’est pourtant bel et bien une fable sous forme de départ nécessaire, de quête que Bruno Podalydès tisse dans ce portrait. Dès le premier épisode, le héros quitte la ville, que ce soit par l’évocation ironique du trajet en métro pour rejoindre un ami, ou pour un tournage (le héros en ingénieur du son), à Toulouse. A l’inverse, bouclant la boucle, dans le dernier épisode, on découvre pour la première fois le visage de la ville, auparavant évoquée par la musique renvoyant aux partitions de la Cour,  symbole d’un lieu de passage et de dortoir. Dans un plan serré, Albert, situé à gauche, lève la tête de sa feuille et ouvre vers un autre espace : le jardin du château dont le chambranle de la fenêtre encadre, tel un chassis de tableau, un paysage.

 

Cette référence picturale renvoie également à toute une imagerie et à l’évocation animée de détails mutilples d’une culture de l’enfance, toujours liée à la variété du visuel. Outre les images mentales projetées par le message de son répondeur ou par la musique baroque, les images figées  des bandes-dessinées s’inscrivent dans la mobilité, grâce à l’occupation de l’espace par le jeu dramatique. Dans l’épisode 2, «Don du Sang», Albert, alors à Toulouse, est convié à un diner avec l’infirmière, Sophie (rencontrée auparavant pour un don du sang), et sept amis. Dans une choréraphie des corps automatisés, débarassant la table en réponse au début du match de foot, la référence à Blanche Neige et ses sept nains, épris de l’étranger, est prégnante. Dans un autre épisode, "Acte Libre", Tintin et le spectre d’Ottokar donne lieu à une décoration kitsh et un ballet perpétuel d’aller-retours aux toilettes.

La signification du terme « chantier » est plus ardue à saisir. Concernant le personnage, il s’agit d’une fausse piste, Albert Jeanjean étant parfaitement aiguisé, il offre de nombreuses situations burlesques. Par ce terme ce n’est pas non plus la ville qui est en chantier, mais l’évolution du personnage, la fictionnalisation d’Albert Jeanjean. A l’instar de l’affiche, où sont tracés trois parcours (un en blanc, l’autre en vert et le dernier en rouge ; disposé au milieu du trajet vert et rouge, on suppose que le tracé blanc marque un trajet commun), la ville est rationnnelle, construite, non évolutive ou alors sans le consentement de la population, automatisant le mouvement des hommes par les panneaux signalétiques. Dans l’épisode 3 « Coktail », Albert, en voiture, accompagné par Francois ( Michel Vuillermoz), cherche une place, patiente et se fait klaxonner, justifié par les affres de son passager. Dépassant le portrait archétypal du parisien râleur (dont il décrira plus précisément le comportement dans le court-métrage de Paris Je T’Aime), Bruno Podalydes délimite ce qui fait ou non le dépassement de l’indécision, de la tenue de l’acte libre, du choix possible de mener ses actions (épisode 5). Faut-il se laisser contrôler par la matérialité d’une ville et adhérer à un tas de manières façonnées par la société ? Passer au vert ou au rouge du feu piétons ? Anna, réalisatrice esthète un rien bidon dans ses projets cinématographiques, est le seul personnage à passer au vert, top départ faussement indicateur d’une intiative existentielle et d’une détermination prompte à la décision sèche, brute mais efficace et raisonnée. Alors comme un enfant, manquerait-il à Albert la raison d’une pleine maturité , d’une cessation de questionnnements : « Je ne sais pas ce que je construis. Qu’est-ce que je poursuis ? »

Versailles-Chantiers décrit par métaphores les déclinaisons du mot «chantier », d’une mise en mouvement, d’une édification. L’épisode 5, pré-dénouement du coffret, parachève cette démarche par la traversée d’un chantier par Anna et Albert. « Nous ne sommes pas ce qui vient de nos intentions mais ce qui vient de ce qu on fait. »

Mais pourquoi tant de gares ?

La réponse peut être là, simplement dans ce qu’elle contient et représente, source d’inspiration où les badauds se transforment en sujet d’études sociologiques et en ressorts pour une narration. Fragmentation des rencontres, de passagers anonymes, de retrouvailles ou d’adieux, les gares, que ce soit Versailles-Chantier ou Versailles-Rive-Gauche, synthétisent l’entreprise de Bruno Podalydes : récolter les singularités et les réunir vers le collectif et l’action. Albert Jeanjean quitte le bureau de vote, son siège d’observation des citoyens à la limite du voyeurisme, pour se fondre dans la foule et dans son engagement, à l’image de la manifestation « Exclure l’exclusion » à laquelle il participe.

Le tiret entre Versailles et Chantiers prend tout son sens. Ce coffret, succession d’épisodes, demeure le moyen le plus cohérent  de rendre compte de la fragmentation et de la progressive unification et avancée de Monsieur Albert Jeanjean.


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