Vers l’autre rive

Article écrit par

Incursion apaisée dans le fantastique pour oeuvre un peu apathique.

Il y a quelque beauté à ce que la trajectoire d’un récit – dans le cas présent, une femme conviée à un voyage bucolique par le fantôme de son défunt mari – soit dès le départ condamnée à l’échec. Se donnant tout entier comme une parenthèse, une transition dans la vie d’une femme, le film se place d’emblée sous le signe de l’acceptation – acceptation calme, paisible, de ce couple qui a été et ne pourra plus être. Au rythme lancinant d’une balade champêtre scandée par les rencontres et autres découvertes culinaires, l’héroïne apprend à revivre. Toute la beauté paradoxale du propos est là : c’est en retrouvant une proximité, une intimité, que les deux amoureux puiseront la force de se séparer définitivement.

L’autre étonnement procuré par le dernier opus de Kyoshi Kurosawa réside dans cette approche totalement anti-spectaculaire d’un genre pourtant fortement connoté : le film de fantôme. Réfractaire à son utilisation symbolique ou psychologique (le spectre comme projection du désir de l’héroïne), Vers l’autre rive ne laisse aucun doute quant à l’existence du fantôme : vu de tous, enclin à communiquer avec les autres, il a une réelle présence matérielle – esprit bienveillant doublé d’un corps concret. En cela, malgré le traitement extrêmement sobre et « réaliste » de Kurosawa, Vers l’autre rive s’impose comme un film résolument fantastique.

D’une histoire au potentiel aussi passionnant, le cinéaste tire pourtant une œuvre curieusement asséchée, sans grande saveur. À trop vouloir jouer la carte de la discrétion, de la légèreté douce-amère et du bucolique un brin trivial, Vers l’autre rive accuse un manque cruel d’incarnation. Dès lors, l’émotion peine à se frayer un chemin, et ce, d’autant plus que le duo principal est fortement entaché par la fadeur du personnage masculin. En résulte une œuvre étonnante, malheureusement prise au piège de ses propres parti pris.

Titre original : Kishibe no tabi

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 127 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.