Trois visages

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Nouveau road-movie pour Jafar Panahi qui nous dresse un portrait de l’Iran contemporain et des femmes magnifiques qui l’éclairent.

Un cinéaste qui résiste de l’intérieur

Jafar Panahi est reparti de Cannes avec le Prix du scénario (ex-aequo avec Lazzaro Felice d’Alice Rohrwacher) pour ce magnifique film qui continue le chemin initié avec Ceci n’est pas un film (2011) et Taxi Teheran (2015) depuis que le gouvernement iranien lui a interdit de quitter le territoire et de réaliser des films. Il faut dire que les deux Iraniens présents dans la Sélection officielle – Jafar Panahi en compétition pour Trois visages et Asghar Farhadi, hors compétition pour Everybody knows – remportent un franc succès en France, puisque leurs deux films, Une Séparation et Taxi Teheran, ont été classés parmi les plus grands succès des films iraniens avec plus de 600.000 entrées chacun. Comme l’a déclaré à l’AFP Asghar Farhadi qui, pour sa part, a choisi l’exil : « Il faut prendre les mesures que l’on peut prendre pour exprimer son soutien et faire en sorte qu’il [Jafar Panahi] puisse venir. Mais il ne faut pas oublier que l’essentiel pour lui et pour un cinéaste, c’est que son film soit vu. » On le sait, l’Iran n’a finalement pas autorisé la venue de Jafar Panahi à Cannes cette année, mais l’important c’est que son film y ait été présenté et, en plus, récompensé. Si l’on a pris toutes ces précautions pour présenter son œuvre, c’est parce que la condamnation de Jafar Panahi n’est pas innocente et qu’elle apparaît dans tous ses films, y compris dans ce dernier qui évoque à mots couverts la situation de la femme, et par ailleurs de la culture, en Iran. Maintenant Jafar Panahi, encore plus que n’importe quel créateur, est condamné à filmer pour se prouver qu’il existe encore. Il l’avait fait pour Ceci n’est pas un film, en collaboration avec Mojtaba Mirtahmasb. Le film est tourné dans son propre appartement et décrit son quotidien d’artiste et d’homme empêché de travailler et sera présenté hors compétition au Festival de Cannes en mai 2011. Après, c’est bien sûr Taxi Teheran avec le succès que l’on sait, puisque le jury du festival de Berlin, présidé par Darren Aronofsky, lui décernera l’Ours d’or en 2015, et la Fipresci son prix de la presse de cinéma. Pourtant, la condamnation planait toujours sur cet artiste maudit en Iran puisque la majorité des techniciens du film n’apparaît pas dans le générique par crainte de représailles.

 

À la rencontre des villageois

Il semblerait qu’il y ait eu une petite amélioration puisque l’équipe est créditée au générique de Trois visages et Jafar Panahi a choisi, comme dans Taxi Teheran, d’apparaître à l’écran dans une sorte de road-movie. Un film sobre, que certains critiques ont qualifié de minimaliste on ne sait trop pourquoi, mais qui rappellerait plutôt le post-néoréalisme de Fellini qui adorait se mettre en scène ainsi que le monde qui l’entoure. Ici, on rencontre des villageois perdus au fond des montagnes du Nord-Ouest du pays, où ne parle que le turc et non le persan, émerveillés et agacés à la fois de rencontrer pour de vrai la grande actrice iranienne, Behnaz Jafari, ici dans son propre rôle, à la recherche d’une jeune fille, Marziyeh, qui lui a envoyé une vidéo inquiétante via Internet. Au passage, Behnaz Jafari en profitera pour aller saluer une autre grande légende du cinéma iranien, condamnée après la révolution de 1979, Shahrzad, dont on ne verra que de dos ou en silhouette, pour accentuer encore plus son absence. Shahrzad vit elle aussi en recluse, non pas dans cette maisonnette isolée, mais à Ispahan où elle est aussi poète. Lorsque Jafar Panahi est allée la rencontrer pour lui demander son accord, ainsi que le raconte Jean-Michel Frodon dans le dossier de presse du film, elle a bien sûr tout de suite accepté, mais a également enregistré le poème qu’on entend dans le film.

Un pays entre modernité et traditions

À la croisée entre modernité (usage continuel du téléphone portable comme moyen de communication, appareil photo et caméra) et tradition (le pouvoir des hommes, leur refus des actrices considérées comme impures, etc.), Trois visages est un film magnifique qui propose en fait trois portraits de trois générations de femmes. Étrangement, c’est la plus jeune d’entre elles qui semble la plus désespérée de ne pouvoir trouver sa place dans cet univers machiste, métaphore de l’involution du pays. Du reste, la fin du film est un modèle de mystère et de poésie en proposant une nouvelle manière d’aborder la situation des femmes en Iran et leur résistance, de plus en plus d’actualité avec tous les mouvements féministes de refus du voile qui se mettent en place.

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Durée : 104 mn


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