Too Old To Die Young

Article écrit par

To Die in L.A.

Après la mort de son co-équipier, Martin Jones, inspecteur de police à Los Angeles, est plongé dans une spirale infernale de meurtres et de vengeance.

Convoquer d’anciens démons

« Nicolas Winding Refn n’est plus un réalisateur mais un plasticien ». Cette phrase utilisée allègrement depuis Only God Forgives (son film qui divise le plus) veut nous faire croire que NWR est passé du mauvais côté de la barrière en devenant un maniériste aux œuvres superficielles. Pourtant son œuvre n’a jamais été aussi curieuse et virulente, voire provocatrice depuis ses premiers films sur le sol américain. La ou sont encensés des artistes tel que Quentin Tarantino pour sa soi-disante modernité (alors que ses films ressemblent à des mash-up de références divertissants portés par une nostalgie de la pellicule), NWR est perçu presque comme le contraire : ses films sont qualifiés de vides, ennuyeux et prétentieux. Pourtant aucun cinéaste n’est capable comme lui de diviser le public (ce qui semble lui plaire) tout en traitant son propre médium et la fin des valeurs morales du monde. A cet égard, To Old To Die Young est une œuvre somme, poussant la réflexion sur son cinéma à son paroxysme. 13h de visions, pour ce qui semble être autant une série qu’un très long film, prouvant déjà l’impact de David Lynch sur la télévision avec sa dernière saison en date de Twin Peaks. Pas de cliffangher, chaque épisode à sa durée propre (allant de 30 min à 1h40), et pas de générique réellement défini ; lui qui parlait de son intérêt pour le format des séries contemporaines a préféré finalement traiter son œuvre dans le sens contraire.

Sa sortie en 2019 sonne d’ailleurs comme un bilan de son nouveau cinéma, une décennie de numérique qui débute avec Valhalla Rising en 2010. On retrouve dans cette plongée infernale tous les personnages et thèmes de ses quatre derniers films. Le héros incarné par Miles Teller ressemble à une version désabusée (mi-psychopathe, mi-justicier) du driver de Drive (2011). La grande prêtresse de la mort, Yaritza, serait le penchant féminin du policier déifié de Only God Forgives (2013). De même que son époux, Jesus, est sans conteste l’incarnation de Julian dans le même film, playboy impuissant et soumis à son complexe d’Oedipe. Couple par ailleurs représentatif du questionnement de The Neon Demon (2016) sur la superficialité des apparences (l’épisode 6 appuyant sur cette image publicitaire). Et enfin pour ne citer que les personnages principaux, Viggo semble une transposition actuelle du One-eye de Valhalla Rising (il est borgne comme ce dernier), reprenant le thème du guerrier solitaire ; ici guidé par Diana (Jena Malone, déjà présente dans son film précédent), première apparition d’un gourou dans la filmographie de NWR.

Se défaire des apparences

Tous ces éléments repris ne sont cependant pas clairement déterminés, chacun de ces personnages cités rappellent d’anciennes figures mais possèdent leur propre individualité et parcours. De même, Winding Refn ne se répète pas (quoi qu’en dise les détracteurs) mais pousse son univers encore plus loin. Son style devient dans les premiers épisodes bien plus épuré tout en se renouvelant, tout y est plus lent (l’intérêt ici du format sériel) et le héros est de moins en moins enclin à prendre des décisions, plus encore qu’avant il subit le monde qui l’entoure. Le réalisateur n’a pas seulement adapté son univers sur une durée bien plus longue, mais a complètement réinventé son cinéma, se permettant des audaces qui rompraient le rythme d’un long métrage. Il y incorpore notamment de l’humour, un peu bancal lorsqu’il en fait une pure comédie, mais redoutable quand il emploie l’absurde, reflétant alors le non-sens de ce monde. Deux scènes en sont le parfait exemple, tout d’abord la rencontre entre Martin et Theo (son beau-père) dans le tout premier épisode, ce dernier se lançant dans une imitation animalière aussi drôle que dérangeante. Puis l’ouverture de l’épisode 8 avec une pièce de théâtre jouée dans le commissariat, une mise en scène grotesque témoignant la démence contradictoire des forces de l’ordre.

Dans ce microcosme fait d’incapables, la seule solution est de devenir un justicier ; seul danger pour Martin, un passif de flic corrompu et hors-la-loi. Le film dresse une opposition entre l’acceptation de soi et les choix que l’on fait. Là ou Martin, comme nous l’avons vu, est bloqué, obligé d’être soumis à son incapacité à contrôler l’univers, Jesus, membre du cartel guidé par la vengeance, est celui qui prend toutes les décisions et fait avancer l’histoire jusqu’à la fin (prendre le pouvoir pour arriver au sommet), le héros au sens classique du terme. Mais derrière son visage de mannequin (il est tout aussi sexualisé que sa femme) et son apparente assurance, il est lui aussi soumis non pas au monde qui l’entoure mais à lui-même, son complexe d’Œdipe qui le rend impuissant et détruit sa virilité superficielle, mettant alors ses traumas à nu, un autre thème récurrent de NWR. Des parallèles magnifiques entre ces deux facettes sont faits tout au long de l’épisode 8 (climax narratif de Jesus et Martin), mais le réalisateur, enfonçant le clou après The Neon Demon nous montre que les apparences triomphent sur la sensibilité intérieure des êtres humains, les victorieux sont faux. Et pour en revenir à Martin et son impuissance sociale (comme Ryan Gosling dans Drive et OGF il semble presque autiste), l’acceptation de ses pulsions meurtrières et de son manque d’empathie en font un personnage bien plus en accord avec lui-même, comme si le driver de 2011 était enfin en paix avec ses émotions contradictoires.

Démystifier la violence

NWR aime la plupart de ses personnages, il les magnifie, leur offrant à tous une heure de gloire, une possibilité d’émerveiller le spectateur. Sa véritable haine et violence intérieure va envers le monde en déliquescence qui l’entoure, un Los Angeles (et par extension un état américain) mortifère, peuplé de tueurs, de violeurs et de pédophiles. Si Martin prend un moment ce rôle de justicier, dans un épisode 5 aussi amusant que glauque, il revient principalement à Viggo, ermite malade, celui qui n’a rien à perdre et peut donc se salir les mains. Il est la version humaine du sauveur, tandis que son ersatz divin, Yaritza, est né dans le désert et vient nettoyer cette ville, elle incarne une dernière lueur d’espoir pourtant destructrice dans cette apocalypse. Si la violence inhérente au cinéma de Refn a toujours été depuis dix ans sublimée et cathartique, ici, pour la première fois depuis la trilogie Pusher, elle redevient terrifiante et soudaine. En témoigne la fin de l’épisode 8, sommet de brutalité de cette œuvre et meurtre le plus émotionnellement impactant de l’œuvre de NWR, détruisant toute possibilité de rédemption pacifiste du monde, point de non retour vers la sauvagerie.

Dernier point intéressant à aborder dans cette œuvre (même si son analyse pourrait être évidemment bien plus poussée), le mysticisme. Incarné par Diana dans sa fonction de gourou, c’est la première fois que Refn y fait explicitement référence. Ses précédents films étaient déjà emprunt de spiritisme (notons OGF dédié à son ami Jodorowsky), mais cela se retranscrivait bien plus dans sa mise en scène ésotérique et lancinante que dans ses figures (Chang, le policier surviolent de OGF faisant cas d’exception). Ici, un personnage reçoit littéralement des visions, un traumatisme d’enfance qui lui permet de trouver les violeurs d’enfants de la ville et d’y envoyer Viggo. Mais l’élément marquant vient d’une vision qui transit entre les épisodes 8 et 9, entre Yaritza et Diana, à la fois image (des flammes puis des enfants sans yeux) qui annonce la purification de Los Angeles mais aussi symbole terrifiant de mort et destruction. Diana convulsant au sol en vient à perdre la couleur de ses yeux et seul l’intervention de ce que l’on pourrait appeler un magicien lui permet de redonner sens et clarté à cette hallucination. De son côté, Yaritza est fascinée par le tarot, des cartes qui parlent du temps et des actions humaines. Elle fait notamment graver sur son arme la carte du pendu, symbole d’une impossibilité d’action, demandant de prendre un autre point de vue pour mieux avancer, une carte qui par ailleurs précède celle de la mort dans le tarot. Elle devient alors celle qui par sa volonté change les choses, le personnage le plus à même de voir le monde différemment des autres.

TOTDY est probablement l’œuvre la plus complète de NWR, porteur de tous ses démons et représentative de sa vision nihiliste du monde. Le dernier discours de Diana, allant de pair avec l’ascension de Jesus, vient prédire l’apocalypse. La dernière lueur d’espoir vient alors de Yaritza, qui de manière contradictoire est une sauveuse mais aussi la « grande prêtresse de la mort ». Reste à voir comment la violence peut protéger les derniers bastions de la morale, et par extension comment le cinéma de Refn va-t-il évoluer avec cette idée.

 

Titre original : Too Old To Die Young

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Durée : 750 mn


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