Tikkoun

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Un ébranlement trop corseté.

« "Tikkoun" fait référence à une âme qui revient dans le monde des vivants afin de remédier à un problème non résolu dans la vie passée et de se racheter avant le passage définitif dans l’autre monde. L’action qui permet cette rédemption s’appelle "Tikkoun" ». C’est ainsi qu’Avishai Sivan éclaircit la signification du titre de son film, qui désigne en hébreu une « rectification », une « amélioration ». Et pour cause, son personnage principal, Haïm-Aaron, jeune juif orthodoxe, revient littéralement des morts après avoir été laissé sans vie suite à un malaise lié à un jeûne drastique. Cette expérience de mort imminente agit comme une déflagration souterraine qui le conduit à réinterroger sa foi.

 






Une « nouvelle naissance » du corps

Quand Haïm-Aaron s’effondre, il est entièrement nu, le sexe en érection ; un corps qui implose déjà au son fort du jet d’eau chaude qui coule abondamment dans la douche. Cette corporalité qui tranche avec le rapport compliqué qu’entretient le jeune homme avec la chair  du fait de sa pratique religieuse, est ici annonciatrice de l’ébranlement qu’il va vivre. En revenant biologiquement des morts, par un sursaut de son corps même, Haïm-Aaron se voit précisément réinvesti par celui-là même qu’il avait réprimé. Les vannes ont été ouvertes et son nouvel éveil lui fait vivre une échappée différente, éloignée de celle des pages du Talmud, dans le monde profane et l’exploration de la sexualité qu’il tente de découvrir d’abord maladroitement par le biais de la prostitution puis par une rencontre onirique avec « l’origine du monde ». Dans un plan surréaliste, un sexe de femme au corps ensanglanté par un accident de voiture se pose comme l’un des seuls moyens pour le moins détourné de s’autoriser l’accès au corps féminin.

 

Du rigorisme à l’onirisme



Avishai Shan filme ce bouleversement dans un noir et blanc qui s’accorde à la rigidité de l’orthodoxie d’Haïm-Aaron. Dans de longs plans larges et distants, une économie de parole et un silence souvent lourd, Tikkoun laisse transparaître une sécheresse émotionnelle qui a valeur de mode de vie, à l’image de la yeshiva où le personnage étudie, ou encore de l’appartement familial régi par l’austérité autoritaire du père et la soumission de la mère. Le dénuement du cadre et de ses décors communique une oppressante sensation d’étouffement, signalant volontiers la schizophrénie à l’oeuvre dans toute radicalité religieuse. Cet usage du noir et blanc dans l’instauration d’un univers marqué par une frugalité qui vire à la pénitence peut faire écho à la société très protestante d’avant-guerre que dépeignait Michael Haneke dans toute sa mortification dans Le Ruban blanc (2009). Là où Haneke réussissait par sa mise en scène à communiquer l’insupportable étouffement de la société qu’il filmait, Avishai Shan semble piégé à son propre jeu, l’ascèse esthétique de son film rognant souvent toute possibilité d’éprouver la commotion existentielle du personnage.

Restriction d’affects

Au sein de cette atmosphère, la quête métaphysique du jeune religieux se déploie dans une territorialité cinématographique étrange, le cinéaste opérant dans sa mise en scène un virage onirique et surréaliste, tour à tour violent (des motifs de meurtre du père au fils, un animal menaçant) ou plus simplement éthéré (les dérivations brumeuses du personnage), dans des scènes qui peinent finalement à dépasser le stade de la simple apparition, comme saisies dans une « forme tableau » immuable. Il manque au film l’incarnation qui est tout l’enjeu de la révolution intérieure d’Haïm-Aaron, une sensation de chair au lieu d’une planéité démonstrative. Dommage alors que cette « rectification métaphysique », pourtant présumément chargée d’affects, demeure prisonnière de son abstraction.

Titre original : Tikkun

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Durée : 120 mn


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